lundi 23 juin 2014

«On ne peut pas engager le projet sur la baie de Hann sans les populations.»


Cheikh DIONGUE/Cliché Quoidevert
CHEIKH DIONGUE, PRÉSIDENT DU RÉSEAU POUR LA DÉFENSE DE L’ENVIRONNEMENT DE HANN
«On ne peut pas engager le projet sur la baie de Hann sans les populations».

Il y a 25 ans, la baie de Hann (banlieue dakaroise) était considérée comme l’une des plus belles plages du monde. Particulièrement affectée par la pollution, sa dépollution a connu des lenteurs liées à des études à faire au préalable, a expliqué le Premier ministre Aminata Touré. Dans ce contexte, quoi de vert a eu un entretien avec Cheikh Diongue, le président du Réseau pour la défense de l’environnement de Hann.
1) Qu’est-ce qui motive l’organisation de vos  journées d’action cadre de vie ?
 Nous avons jugé nécessaire d’organiser ces journées  de mobilisation parce depuis une vingtaine d’années, on lutte sur les questions d’environnement, principalement sur la question de la baie de hann. Aujourd’hui, il y’ a une nouvelle donne. Le projet de dépollution  de 33 milliards de l’union européenne et du gouvernement sénégalais a  été évoqué lors du dernier conseil interministériel qui s’est au mois de juillet à Dakar. Mais c’est un projet qui va se faire sur deux voire trois ans. Et les populations ne sont pas associées  à la prise en charge de ce projet. Il faut dire que depuis 2002, ce sont les populations qui ont été à la base même de ce projet. On a fait une pétition de 4 000 personnes qui a amené le Conseil interministériel sur la baie de Hann. C’est de là que nous sommes venus aujourd’hui à ce projet. Nous pensons que nous faisons partie intégrante de ce projet ; et qu’on doit reconnaître le travail de la population sur les questions d’environnement.
Donc je pense que c’est ça qui est à la base de notre mobilisation.

2)  Il y a 25 ans, la baie de Hann était considérée comme l’une des plus belles plages du monde. Quelles sont les causes de sa dégradation ?
Il y a plusieurs facteurs. Le facteur numéro un, c’est le déversement  quotidien de toutes les eaux usées venant de quatorze canaux  et émissaires. Dans l’évaluation du projet de dépollution, à 70 %, ce sont les industries qui sont à la base de la pollution de la baie de Hann et à 30 %, ce sont les riverains de la baie qui sont responsables.
3) C’est à ces familles qu’on doit les déchets solides ?
Oui, une grande part de responsabilité ; et ceci à un double niveau. Le premier c’est que la population ne doit pas polluer la baie, mais aussi la population doit se mobiliser pour lutter contre la pollution de la baie. En  quelque sorte, la baie c’est presque le jardin de Hann pour les activités de pêche, de plaisance et de loisirs. Si nous perdons cet espace, nous perdons tout ; et n’oublions pas que la baie abrite le quai de pêche le plus important du Sénégal ; le quai de débarquement. Tous les poissons qui sont consommés à Dakar passent par ce quai. Imaginez dans un milieu pollué, qu’on y fasse  passer des produits alimentaires, c’est une catastrophe.
 4) En termes de sensibilisation, quelles sont les actions qui ont été menées par le réseau  pour conscientiser  cette population riveraine ?
Le réseau est né en 2009, et depuis, nous avons mis sur pied un programme. Chaque année, nous participons à la journée mondiale de l’environnement et nous tenons aussi les  journées du parc national de Hann. Si vous allez au parc de Hann, vous verrez que le lac est aménagé, vous y verrez aussi un théâtre de verdure, et tout ceci est  à mettre à l’actif du réseau. Maintenant, nous voulons orienter nos activités autour de la baie et créer une synergie, une dynamique de toutes les associations pour qu’on puisse mettre fin à ce scandale et qu’on puisse nous intégrer au projet de  dépollution de la baie de Hann.
5) L’équipe municipale actuelle joue-t-elle sa partition ?
Oui, on a rencontré  le maire récemment et on  a tenu une réunion avec lui, et il s’est engagé à  accompagner les associations qui luttent autour de la question  de l’environnement. Nous saluons aujourd’hui cette nouvelle vision des autorités municipales qui sont aux côtés des populations.
6) Quelles sont  les maladies les plus fréquentes auxquelles les populations environnantes sont confrontées du fait de la pollution ?
Il y a deux types de rejets. Il y a des rejets chimiques qui sont le fait des industries  et des rejets bactériologiques dont la plupart sont le fait des populations qui déversent leurs ordures. Depuis longtemps, les études et les prélèvements ont montré  la présence de plusieurs types de bactéries, de métaux lourds et de produits chimiques. Les enfants qui se baignent  dans la mer sont exposés à des  types de maladies diarrhéiques, dermiques et pulmonaires. 
Des statistiques disponibles dans les centres de santé   montrent  qu’il existe  ici au niveau  de Hann, des  maladies qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Donc c’est lié forcément à la baie, et d’ailleurs, la baignade est interdite à Hann, mais malgré tout, les populations s’y baignent.
7) En 2004, l’Etat avait mis sur la table la somme de 50 millions dont 30millions pour le nettoyage de la baie. Mais on dirait que cela n’a servi à rien.
Il me semble qu’il avait commencé à faire le nettoyage. En tout cas en 2010, la mairie de la ville qui est le responsable de ce canal avait commencé le nettoyage. Mais ils se sont rendu compte que ce n’est pas avec cette somme qu’il faut faire ce travail. Il faut une vraie opération coup de poing avec énormément de moyens. Ils ont reculé  parce qu’ils savent qu’ils allaient dépenser inutilement cet argent. Nous, nous voulons faire le plaidoyer pour que les véritables moyens soient mis en place  pour que la dépollution  de la baie puisse être effective.
8) Vous l’avez rappelé tantôt, l’Etat a décidé de dégager la somme de 33 milliards pour la dépollution de la baie. Avez-vous été contactés  par les nouvelles  autorités ?
Il y a un comité de pilotage, un comité technique au sein duquel les populations sont  représentées par le maire. Mais récemment lorsqu’on l’a rencontré, on a constaté qu’on ne le convoque pas à toutes les réunions. Nous, nous voulons dénoncer cela et montrer que le maire est d’abord notre représentant légitime dans le comité de pilotage du projet, pour qu’en retour qu’il puisse nous rendre compte. Cela va nous permettre de nous  mobiliser et connaître notre place dans le comité. Lorsqu’on a rencontré le ministre, il a bien précisé qu’il va nous mettre nous en tant que communauté d’associations dans le comité  de gestion autour du projet. Et c’est lui qui pilote ce projet. C’est cette assurance qu’il nous a donné, et il a même dit qu’il va venir sur place visiter la baie.
Donc nous pensons que les choses vont mieux évoluer ; et il a fallu que l’on bouge pour que les choses commencent à évoluer parce que le comité de pilotage existe depuis 2010.
9) Quel message lancez-vous ?
D’abord un message pour les autorités qui doivent prendre conscience que la question  des problèmes liés à la baie de Hann n’est pas seulement locale,  mais en réalité, elle est globale pour ce concerne des problèmes liés à l’environnement. C’est nous qui vivons les conséquences immédiates, mais  à long terme elles  impacteront négativement sur l’ensemble de la  population sénégalaise. Malheureusement, nous n’avons pas la culture de la prévention e t d’anticipation au Sénégal.
Ensuite, il y a le Code l’environnement qui doit être appliqué. Les populations doivent aujourd’hui s’approprier ce code, et prendre en charge leurs problèmes et défendre leur droit. Et je pense que nous allons dans cette perspective.
Pour la population, nous ne devons jamais cesser de les  sensibiliser sur les questions de l’environnement et ceci dès le bas âge. Nous, nous l’avons tellement bien compris que nous allons dans les écoles, pour y jouer  des pièces de théâtre, et  y encadrer les élèves. Sur ce plan, on est prêt et ce sont les autorités qui doivent jouer le jeu pour qu’il ait une synergie globale autour  de la baie de Hann en particulier  et des questions environnementales en général.

Interview réalisée par
Baye Salla MAR


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