lundi 23 juin 2014

«L’absence de synergie grève l’efficacité des accords multilatéraux»:Commandant Lamine Kane, point focal du protocole de Cartagena au Sénégal

Commadant Lamine Kane-Cliché Quoidevert?
Commandant Lamine Kane, point focal du protocole de Cartagena au Sénégal 

«L’absence de synergie grève l’efficacité des accords multilatéraux»

Conservateur  au niveau des parcs nationaux, le commandant Lamine Kane est le chargé de la révision  du processus de la stratégie  nationale de conservation de la biodiversité. Rédacteur du 5e rapport  2014 sur la diversité biologique au Sénégal, Quoi de vert ? est revenu avec lui sur l’état de santé  de notre environnement biologique. Entretien exclusif avec le point focal national du protocole Cartagena.

Quoi de vert ? :1)  Pouvez-vous revenir sur le protocole de Cartagena et ses objectifs ?

Cmt Lamine Kane : Ce protocole est un pendant de la  convention sur la diversité biologique qui a trois piliers essentiellement : la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de cette biodiversité, et le partage juste et équitable des bénéfices issus de l’utilisation des ressources génétiques.
Au-delà de ces trois piliers, il y a des enjeux importants nés de l’utilisation des biotechnologies modernes qui ont un apport intéressant du point de vue de la sécurité alimentaire, des applications pharmaceutiques et médicales. Au-delà de ces utilités et de ces avantages, il faut quand même relever des risques potentiels sur la santé humaine et sur l’environnement. En plus, il y a des aspects liés à l’éthique et à la propriété sur le vivant.
C’est dans ce contexte que la CDB (Convention sur la diversité biologique) a ouvert une série de négociations qui ont débuté en 1997 et qui ont dessiné le chemin vers le protocole de Cartagena. Ce protocole qui a été signé en 2000 et entré en vigueur en 2003, gère les risques qui sont liés aux biotechnologies modernes en vue d’assurer une sécurité sur la santé humaine et sur l’environnement pour mieux conserver la biodiversité par rapport aux potentiels risques liés aux biotechnologies.
Au plan national, quel bilan d’étape  peut-on faire du protocole, depuis sa ratification par le Sénégal ?
En signant le protocole en 2001 et en le ratifiant en 2003, notre pays  a montré sa volonté de s’engager dans cette mouvance internationale de définir un minimum de sécurité par rapport aux risques liés aux biotechnologies.Au-delà de cette date-charnière de ratification, le Sénégal a commencé à élaborer son cadre national de biosécurité qui définissait un peu les contours du point de vue institutionnel mais aussi une esquisse de réglementation par rapport à l’utilisation des biotechnologies modernes, mais aussi au régime de biosécurité lié à cette utilisation. En plus de la mise en place de ce cadre national de la biosécurité, en 2009, la loi nationale sur la biosécurité a été votée. Cette loi  définit le cadre réglementaire et juridique  lié à la biosécurité mais aussi à l’utilisation avec un risque moindre des biotechnologies modernes. Durant cette même période, deux jalons supplémentaires ont été posés : le premier est relatif à la signature du décret portant organisation, fonctionnement  et mission de l’autorité nationale de biosécurité qui est l’instance  compétente en termes de délivrance d’autorisation par rapport à l’utilisation et à la circulation  des OGM (organismes génétiquement modifiés). Elle est aussi compétente en termes d’inspection, de contrôle pour le niveau de conformité par rapport à la loi. L’autre organe de régulation  concerne le deuxième décret signé toujours en 2009 et qui porte sur  l’organisation, le  fonctionnement et les missions du comité national de biosécurité qui est le bras technique qui éclaire les avis de l’autorité  nationale.  C’est un organe consultatif du point de vue scientifique et technique. La signature de ces décrets a été  suivie d’un ensemble de renforcement de capacités   aussi bien en termes de gestion de l’information, de gestion du risque, mais aussi en termes de gestion de communication sur le risque.
Il y a eu également  des renforcements de capacités portant  à la fois  sur les aspects liés à l’évaluation  et la gestion des risques portant sur les OGM et  sur l’inspection et  le contrôle ; sans oublier ceux portant  sur  la  notion de propriété intellectuelle et de brevet sur le vivant. Mais aussi sur la réglementation en cours au plan international.
Au niveau de l’UEMOA et de la CEDEAO, il y a un effort qui est entrepris pour asseoir une réglementation qui est commune à l’espace CILSS, CEDEAO et UEMOA pour éviter le double emploi en termes de réglementation par rapport à ces trois institutions.

2) Malgré la volonté politique et la batterie de mesures juridiques et institutionnelles, on assiste à  une léthargie des organes de régulation. Comment l’expliquer ?
C’est vrai que malgré le relèvement du dispositif réglementaire et institutionnel, ces organes ont des difficultés à fonctionner réellement. Pour rappel, le comité national a été mis sur pied. Pour l’Autorité nationale de biosécurité, il y avait eu un directeur exécutif  qui avait été nommé. Entre-temps, il y a eu une démission, mais après il y a eu une  nouvelle nomination. Ce qui montre qui a un signal fort pour au moins asseoir une autorité autonome qui joue pleinement son rôle.

3) Sous nos cieux, les OGM  ne jouissent  pas d’une bonne image. En tant que point focal, qu’envisagez-vous de faire pour résoudre ce gap communicationnel ?
Le plus important, c’est d’utiliser la bonne information et d’avoir un débat moins passionné. Pour les OGM, il y a deux aspects qui peuvent intervenir : Une volonté politique d’adoption mais aussi une volonté des populations pour la consommation. Tant que les deux conditions ne sont pas réunies, on ne peut pas parler d’adoption des OGM. Au-delà même, les gens doivent réfléchir dans un cadre global et cohérent qui peut définir les priorités du pays en termes d’option sur le plan agricole, médicinal et pharmaceutique. On ne peut pas dire que les OGM sont une panacée, c'est-à-dire une solution toute faite pour tous les problèmes, mais au moins, ils peuvent contribuer. D’où l’importance de dépassionner le débat et de ne pas  uniquement mettre le point sur l’aspect négatif en oubliant que potentiellement, ils peuvent avoir un aspect positif.
Pour en revenir à la communication, une rencontre élargie à d’autres partenaires  à été récemment organisée par l’Autorité nationale et le comité national de biosécurité. L’un des objectifs, c’est un peu de faire l’état des lieux. L’autre objectif, c’est d’améliorer la communication. A l’issue de cette rencontre, une feuille de route a été établie. L’un des aspects forts de cette feuille de route, c’est de définir un plan de communication et de dégager des outils de communication par rapport aux potentiels que peuvent représenter les OGM aux inconvénients qu’on peut noter au niveau des OGM, aux risques qui peuvent découler de l’utilisation des biotechnologies, mais aussi des mesures correctives qu’on peut mettre en place par rapport à ces risques. Quoi qu’on dise, quand on parle de risque, il faut qu’il ait une bonne communication pour moins apeurer les populations et leur donner la bonne information sur les effets adverses potentiels par rapport à  la santé humaine, à la conservation de la biodiversité et au patrimoine génétique.

4) A quand la mise en œuvre de ce plan de communication ?
Avec la nomination du nouveau directeur de l’Autorité nationale de biosécurité, on pense que  dans les mois à venir, surtout avec l’appui des partenaires stratégiques comme le département d’agriculture des Etats Unis l(USAID) et le projet Obama, financé par l’USAID, mais aussi avec l’UEMOA, nous comptons bientôt mettre en place ce plan de communication en termes de  gestion de l’information sur la biosécurité et le biotechnologie mais aussi la vulgarisation de certains supports et outils de communication.

5) Vous êtes aussi chargé de la rédaction du rapport national sur la diversité biologique. Qu’est-ce  qui a motivé la publication du 5e rapport sur la diversité biologique en ce mois de mars 2014 ?
Pour rappel, le rapport national  est un processus qui est effectué tous les quatre ans sur la base des directives de la CBD ; mais aussi en fonction du souci des Etats de renseigner sur le niveau de mise en œuvre de la convention, sur  la mise en œuvre de leur stratégie et plans nationaux d’actions  pour la conservation de la biodiversité, mais aussi pour mettre à jour les informations relatives  à l’état de conservation de la biodiversité ainsi que sur les pressions qui sont exercées  sur la biodiversité.
Au-delà de ces aspects, les rapports nationaux constituent d’importants outils de communication dans ce sens qu’ils mobilisent différentes parties prenantes et qu’ils permettent de consigner un peu l’état et les tendances de la biodiversité, et la mise en œuvre des documents stratégiques en matière de conservation de la biodiversité. Mais aussi  du fait qu’on essaye d’utiliser un langage accessible à plusieurs  cibles par rapport a son  format.
Pour résumer, le souci  principal du rapport, c’est de consigner toutes les informations relatives  au  niveau  de mise en œuvre de la convention sur la diversité biologique au Sénégal dans  un document national, qui sera  partagé à un niveau international. Sans oublier les renseignements sur  le niveau de mise en œuvre des orientations en matière de conservation de la biodiversité.

6) Comment interprétez-vous la déclinaison de  la politique de développement durable sur la déperdition des ressources environnementales au Sénégal ?
Au-delà de la volonté politique d’asseoir une ligne directrice en matière de conservation  des ressources naturelles de façon générale, mais aussi de la biodiversité en particulier, il est important  aussi de reconnaître que malgré ces efforts, on a une dégradation des ressources  qui sont imputables à plusieurs raisons dont la faible  prise en charge de la notion de biodiversité dans les différents secteurs de production au niveau national.
Il y a une directive importante de la CBD qui tend  à promouvoir cette prise en charge réelle de la biodiversité dans les secteurs de production. Parce que souvent  c’est seulement au niveau du secteur de l’environnement qu’il y a cette prise en charge réelle des enjeux liés à la conservation de la biodiversité. Or, étant donné que c’est une dimension transversale, il fallait au moins qu’il ait une impulsion au niveau des différents secteurs  pour qu’il ait une réelle intégration de cette dimension de la biodiversité. Ça c’est un aspect. Mais aussi qu’il est des mécanismes fédérateurs qui vont  au-delà même du ministère de l’environnement pouvant permettre d’avoir une approche efficace de gestion de ces ressources en tenant compte du caractère transversal de la conservation de biodiversité, mais aussi des ressources naturelles.

7) Les autorités ministérielles ont-elles les  moyens de leur politique, si l’on sait que dans nos pays, l’environnement est le parent pauvre dans les arbitrages budgétaires ?
Sur ce plan, on peut noter une volonté politique de l’Etat de dégager des ressources. Mais en considérant un peu de nombreux secteurs prioritaires, on peut quand même remarquer qu’au-delà des efforts de l’état, on note un déficit sur ce plan.  Dans ce contexte ,  on  se félicite de l’apport de nos partenaires  extérieurs dans le cadre de  l’appui budgétaire. Mais n’empêche qu’il faut réfléchir sur la mise en place  de mécanismes de financement durable et surtout en termes de mécanismes innovants. Innover par rapport à l’approche classique de financement de la conservation. Comme la santé, la conservation  n’a pas de prix mais à un coût.
Donc il urge d’imaginer une diversification dans les mécanismes de financement en promouvant des exemples liés à la RSE, et à d’autres types de mécanismes de financements qui pourraient  aider. Il faut aussi développer  les mécanismes liés aux fonds fudiciaires pour renforcer le niveau de financements. Ces fonds fudiciaires, les systèmes de fiscalités vertes, la RSE, ce sont autant de pistes qu’on pourrait agréger. Mais en amont, il faut qu’il ait une définition claire de ce qu’on veut en termes d’option de financement. Puisque les moyens de l’Etat sont limités, et les efforts des bailleurs, bien qu’ils soient conséquents ne peuvent pas répondre pleinement au financement de la conservation de la biodiversité, il faut au moins définir e amont  une bonne mobilisation des ressources  à travers un mécanisme de financement durable.

8) La déforestation renvoie à l’émission de CO2, et si nous abordons la politique d’adaptation comme le REDD, le reboisement est devenu un instrument financier, alors qu’au Sénégal nous n'avons qu’un seul projet pour absorber cet argent, c’est-à-dire la réhabilitation de la mangrove. Comment faire mieux ? Ou bien y a-t-il des projets en cours d’enregistrement ?
Pour l’aspect financement, il faut élargir un peu la palette des projets éligibles parce que souvent, il y a une certaine restriction par rapport à certains projets. Or  il y a différentes initiatives en matière de conservation  surtout au niveau des aires protégées qui  malheureusement par rapport  à certains mécanismes internationaux ne sont pas très bien prises en compte.
Quand on parle de puits de carbone, ou de zone à importants potentiels de séquestration de carbone, je pense que les aires protégées ont un rôle très important à jouer. Dans ce sens, il faut peut-être améliorer les mécanismes par rapport à l’éligibilité en termes de projets d’adaptation aux changements climatiques et au moins assurer un meilleur financement de ces aires protégées qui peuvent jouer un rôle important.
9) Revenant sur la liste rouge de l’UICN en guise d’exemple  pour tous les oiseaux du monde (10 000 espèces) risque de disparaître, d’autres mammifères, amphibiens, etc., sont dans ce cas. La bonne nouvelle est que des pays comme le Danemark ou la Suède ont réussi le risque d’extinction. Existe-t-elle une logique de coopération opérationnelle en ce sens ?
Du point de vue des espèces en danger, il y a une nécessité de réactualiser la liste pour voir un peu  le niveau de vulnérabilité des populations de  ces espèces. Au-delà de ce besoin, l’état à nouer à travers de grandes structures  qui fédèrent les  états au niveau international un  partenariat. Il  est bon de définir une coopération beaucoup plus orientée par rapport à des pays qui se sont révélé être des champions en termes d’initiatives  pour mieux  conserver les espèces qui sont en danger. Mais n’empêche qu’au niveau  interne, des mesures sont prises  par rapport à des espèces aussi bien animales, que végétales pour au moins promouvoir  des approches de conservation in situ, qu’ex-situ pour avoir une remontée biologique par rapport à cette population d’espèces qui sont en danger.

 10) La science nous dit que l’Afrique va plus subir les effets du changement climatique. Quelles solutions préconisent les institutions pour réintégrer ou préserver les espèces menacés au Sénégal ?
D’abord, améliorer le niveau de synergie par rapport aux accords multilatéraux sur l’environnement. La difficulté qu’on a, c’est que quand on les rend opérationnels, au niveau national, il y a un manque de synergie qui fait qu’on perd en termes d’efficacité. Ensuite, renforcer le niveau de financement par rapport à des options  prioritaires en termes de conservation des habitats.
Il faut aussi essayer de prévenir par rapport à pressions potentielles, par le biais d’une communication beaucoup plus accrue mais aussi de sensibilisation en termes d’éducation  relative à l’environnement, mais aussi une sensibilisation  des populations sur les enjeux. Il y a aussi une autre option qui permettrait au moins une meilleure responsabilisation  des populations   en termes d’initiatives communautaires de conservation. Promouvoir aussi l’intégration de la dimension biodiversité dans les plans locaux de développement au niveau des communautés rurales ; mais aussi  veiller à ce qu’il ait une approche beaucoup plus cohérente en termes d’aménagement du territoire.
En guise de conclusion, je lance un message  en termes d’amélioration de la prise de conscience par rapport aux enjeux actuels.  Se dire que certes, ce sont des ressources qui potentiellement sont considérées comme  renouvelables, il ne faut  pas perdre de vue l’idée qu’au-delà du caractère renouvelable, il y a une dimension  d’épuisement  des ressources.  Et si on ne fait pas attention  sur cette dimension qui nous échappe, on peut se réveiller avec une grande surprise par rapport à un niveau de dégradation important. Donc il faut veiller à avoir des pratiques d’utilisation durables de la biodiversité.

                                                                                       Baye SALLA MAR


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