samedi 13 décembre 2014

Reportage: Mbeubeuss, Décharge, crime écologique ou « or dur »?

Dans une atmosphère polluée, un morceau de terrequi s’étend sur 600 hectares. Des pneus qui brûlent,des arbres cramés. De la fumée noire à vous couper le souffle. Une respiration difficile, provoquée par la poussière des camions d’ordures. Le bruit de moteurs et de klaxons rompent le silence. A quelques mètres des montagnes de détritus quotidiens, produits par les activités des habitants de la ville sénégalaise. Voilà Mbeubeuss, la principale décharge de Dakar, qui
date de juin 1970 et qui accueille 24 heures/24, 7 jours sur 7 des ordures qu’acheminent les camions à ordures. Agricoles comme industriels.

Le site est à 25 km de la ville. Il offre des montagnes d’ordures qui représentent «960 tonnes de déchets journalières », selon le gérant de la bascule. Une enquête commencée en 2006 montre qu’en décembre de cette année que 14 pour cent des habitants de la zone sont affectés de
maladie respiratoire. Une étude des résultats de l’enquête avait poussé la direction technique de la
Communauté des agglomérations de Dakar (CADAK) à engager un processus d’arrêt d’exploitation de la décharge. Et de la transférer vers le centre d’enfouissement technique de Sindia, dans la région de Thiès. Jusque-là sans suite. Selon Dr Diané du district sanitaire installé en plein coeur de la décharge, les cas ne sont pas si «diaboliques», vu la pollution de l’atmosphère. il soutient : «Les cas les plus fréquents sont les enfants qui sont affectés par les infections respiratoires, broncho-pulmonaires et des asthmes.» Il ajoute : «On note la présence du paludisme parce qu’il y a de l’eau stagnante au niveau de la plateforme. Avant d’être ministre de l’Environnement, Ali Aïdar
passait de temps en temps. Il comprend donc le danger que représente la décharge. Les personnes qui vivent aux alentours du site subissent les radiations que des produits non identifiés provoquent.»

Demba Ka, cultivateur dans le quartier de Diamalaye, tient un périmètre familial au bas des montagnesde déchets. Il évoque le degré irréversible de calcination des cocotiers et la disparition des arbres : «La fumée a tout détruit, nous restons impuissants face à cette situation. L’Etat ne fait que dans la spéculation et ne prend pas de mesures concrètes pour arrêter ce désastre.

Il avait prévu sa fermeture, mais jusqu’à présent on attend. Nous vivons de notre culture familiale et
sommes loin d’être des salariés. Nos vies sont menacées. La fumée n’est pas une bonne chose pour la
santé. La solution idoine est de déguerpir du site.» Sur les allées qui mènent vers la plateforme, des trieurs d’ordures. Hommes, femmes et enfants, de tout âge. Ils se précipitent pour être les premiers sur les véhicules qui viennent pour déposer les déchets. Histoire de se faire une part belle.

Dès l’entrée des camions les trieurs s’accrochent derrière pour se les approprier.
Quel que soit le prix sanitaire.Selon Awa, l’une d’entre elles, «la fouille s’opère lors du trajet des camions de poubelles vers la plateforme,car il existe une âpre dispute pour les territoires».Le visage couvert de poussière, elle ramasse les ordures depuis 8 ans. Et n’a jamais consulté de médecin,malgré une toux chronique, qu’elle dit adoucir avec du lait chaque soir.«Je m’appelle Awa. J’habite Keur Massar. C’est ici que j’effectue le tri. La vie est dure à Dakar. Il y a trop de monde à l’intérieur de la décharge et ils n’hésitent pas à prendre tes tas de collecte. On préfère rester à la porte. Nous cohabitons avec ces petits que vous apercevez au sommet. Il n’y a pas longtemps, un camion a écrasé deux d’entres eux.Si on tue une personne sur ce trajet, c’est elle qui perd. Pour ce qui est de mon état de santé, je sens des douleurs aux poumons, je n’ai jamais consulté un médecin pour savoir ce qui se passe. Mais je bois du lait et je continue le travail. C’est l’unique solution pour gagner ma vie». Modou Diop, chauffeur de benne à ordures depuis 2004, travaille pour INTRACOM, une société de collecte d’ordures. Sans masque de protection, il déclare : «La fumée des ordures qui brûlent nous envahit. Ce qui se passe ici est indescriptible, ne parlons même de la saison des pluies qui va bientôt arriver.»

 Pour ce qui est des enfants qui s’accrochent derrière les véhicules, «nous sommes obligés de rouler doucement pour décharger les ordures. Ces personnes nous gênent dans le bon déroulement de notre travail. Avec ces pratiques, ils risquent quotidiennement leur vie». Des bouteilles en plastique isolées
prêt à être commercialisées ne manquent pas d’attirer l’attention.Sur un espace aménagé, des tentes
en zinc, carton, tissus, bref tout ce qui offre de l’ombre. Sous un soleil de plomb, un homme en casquette,fume sa cigarette, assis sur une chaise. Mactar, trieur de son état, collectionneur de plastique, il y a de cela 2 ans, se dit businessman. Pour lui, «être à proximité des poubelles,
c’est choisir de s’exposer à toutes sortes de maladies. Je fais attention en me protégeant avec des caches poussières, des lunettes, des casques. Mais avec le rythme du travail,on a tendance à négliger ces éléments. Si j’avais un autre job, je serais moins exposé». Son amour pour l’argent l’a poussé à abandonner ses études en classe de 3e. Pour se consacrer à la collecte, il dit avoir les idées claires qu’avec l’argent. Et soutient que «la plupart du temps, ceux qui sont là sont des analphabètes. Ils ne se soucient pas des problèmes de santé». Il ajoute : «Mbeubeuss me donne tout ce dont j’ai besoin. Si les autorités décident de transférer le site, c’est simple,nous allons nous déplacer aussi.
D’ailleurs Abdoulaye Wade (président à l’époque) était le premier «boudiou man» (trieur) car il voulait s’approprier la décharge à cause du business juteux.»Si Mbeubeuss représente une mine
d’or pour les trieurs, les riverains ont un autre discours. Selon

Ousmane Sogui, habitant de Diamalaye, «Mbeubeuss est un calvaire, une calamité voulue par des
magouilleurs». La voix cassée, il soutient : «Il y a des moments ou on est envahi par la fumée noire qui nous empêche de voir. Comment avoir l’esprit tranquille dans ces conditions ? Nous sommes sans soutien. Nos problèmes ont étouffés par des deals entre les autorités. Mbeubeuss n’arrange personne. Ceux qui font les tris disent gagner leur vie, mais ils nous causent du tort. Tous les arbres sont carbonisés, à cause des pneus qu’ils brûlent.»

Depuis la lutte contre le réchauffement climatique avec le protocole de Kyoto qui a instauré en 2001 le Clean Development Mechanism (CDM) ou mécanisme de développement propre (MDP), le Sénégal a élaboré dans la même année un code environnemental qui prend en compte dans l’article l2 «l’émission polluante» qu’il définit comme une : émission dans l’atmosphère de gaz ou de particules solides ou liquides, corrosifs, toxiques, radioactifs ou odorants, de nature à incommoder la population, à compromettre la santé ou la sécurité publique et à nuire à la production agricole, aux massifs forestiers, à la conservation des constructions et monuments ou au caractère des sites. Mais le code reste dans les tiroirs.

 La pollution de l’atmosphère est une réalité à Mbeubeuss et ses environs. Sous l’ombre de ce capharnaüm environnemental, des entrepreneurs se frottent les mains pendant que plus de 3 500 trieurs mettent leur vie en danger.Prenant en otage des habitants qui ne demandent que de vivre dans un environnement sain.

                                                                       Par Pape Mbor 

samedi 15 novembre 2014

PROJET DE CONSTRUCTION DES VILLES DURABLES : Le Fonds pour l’environnement mondial prêt à accompagner le Sénégal


La présidente directrice générale du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) Naoko Ishii  a effectué une visite au Sénégal du 13 au 17 juillet 2014. Ayant pour objectif de prendre  connaissance  de l'initiative «Villes durables» mise en place par le FEM, dans le cadre de sa 6e phase de financement (2014-2018), cette visite a  été l'occasion pour la mission  de rencontrer les différents acteurs étatiques et non étatiques.

La présidente du FEM a réitéré la volonté de son organisme à soutenir et à financer la lutte pour le contrôle et la réduction des émissions de mercure. Et ceci après avoir présidé la cérémonie d’ouverture de l’atelier sur la promotion de la ratification de la Convention de Minamata sur le mercure  le mercredi 14 juillet 2014, à l’hôtel Ngor Diarama.
Pour la présidente du FEM, «il est important de comprendre que le mercure est un polluant mondial qui émane de sources différentes, suivant les pays».
Cette cérémonie d’ouverture a été suivie d’une série de visites de sites. Il s’agit, entre autres, de :
L’île de Gorée
La forêt classée de Mbao
La décharge de Mbeubeuss
Du pôle urbain de Diamniadio
La ville de Bargny
La ville de Rufisque
La baie de Hann
Du parc de Hann

Saluant le projet du pôle urbain de Diamniadio et les réalisations au niveau de la forêt classée de Mbao, Mme Ishii n’a pas manqué, non plus, de montrer son étonnement pour la décharge de Mbeubeuss et les dégâts causés par la houle à Gorée, à Bargny et à Rufisque. «Ce que  nous  avons  vu nous a montré la  réalité  selon laquelle une absence de vision et une absence de planification nous créent  beaucoup de problèmes.  Mbeubeuss est un exemple  de manque de gestion systémique qui crée beaucoup de problèmes d’environnement  et de santé. Aujourd’hui, le gouvernement a décidé  de fermer cette décharge, mais cela  doit  s’accompagner  de toute une  panoplie de planification et  de mesures d’accompagnement», a-t-elle expliqué.

A Gorée,  la PDG du Fonds pour l’environnement mondial a annoncé «le soutien de son institution dans la résolution du problème de la menace de l’avancée de la mer sur l’île de Gorée». En compagnie des autorités locales de l’île-mémoire, Dr Naoko Ishii a indiqué que «le FEM entend jouer le rôle de catalyseur dans la résolution de ce problème environnemental».



Cette visite de terrain passée, la patronne du FEM a été successivement reçue par le Premier ministre  et  par le président de la République, en présence de l’ancien et du tout  nouveau ministre de l’Environnement et du Développement durable Abdoulaye Baldé. 
Sortie rassurée  de ces audiences, elle a salué le portage politique et institutionnel  du projet ‘’villes durables’’  dont on fait montrent  les plus hautes autorités sénégalaises. «J’ai compris  toute l’importance  que  les  plus hautes autorités de ce pays  accordent  à la vision à long terme  et  à la gouvernance  durable  des villes».

 Elle  s’est en outre engagée avec le FEM  à trouver des ressources additionnelles, tout en  essayant de jouer un rôle de premier plan  dans la mobilisation  des autres partenaires financiers.
Pour rappel, la visite de la délégation du FEM  est intervenue dans un contexte de  remaniement ministériel  où un changement  a été opéré à la tête du ministère de l’Environnement et du Développement durable.

Signalons  que  cette visite est l’aboutissement d’un long processus dont les  premiers jalons ont été posés  lors  de la 5e Assemblée générale du FEM qui s’est tenue à Cancun (Mexique) du 26 au 30 mai 2014. La délégation sénégalaise conduite par M. Mor Ngom, Ministre de l’Environnement et du Développement durable d’alors, a participé aux tables rondes sur les «Villes durables» et la «Sécurité alimentaire», les deux thèmes pilotes pour le FEM-6.

Saisissant cette occasion, M. Ngom avait  porté la candidature du Sénégal  à  l'initiative pilote sur les «villes durables» mise en place par FEM, dans le cadre de sa 6e phase de financement (2014-2018). C’est ainsi que sur invitation  du chef de l’Etat Macky Sall, une délégation du FEM  dirigée par sa directrice générale, Mme Naoko Ishii, a séjourné au Sénégal du  13 au 17 juillet 2014.
Soulignons enfin qu’un des moments forts de cette visite a été la réunion d’échange et de partage que  la délégation du FEM  a eu  avec les structures gouvernementales, les agences  d’exécution, la mairie de Dakar, les collectivités locales, les ONG, les bailleurs de fonds, le secteur privé et les universités à l’hôtel King Fahd Palace le 16 juillet 2014.
 Baye Salla MAR






L'investissement dans l'adaptation au changement climatique peut aider à assurer que les impacts du changement climatique

L'investissement dans l'adaptation au changement climatique peut aider à assurer que les impacts du changement climatique ? y compris une baisse prévue de 20 à 50 pour cent de la disponibilité en eau ?  n'inversent  pas les  décennies de progrès de développement en Afrique, selon un nouveau rapport publié le 12 août 2014   par le Programme des Nations Unies  pour l'environnement (PNUE).

Keeping Track of Adaptation Actions in Africa (KTAA) - Targeted Fiscal Stimulus Actions Making a Difference (Le suivi des mesures d'Adaptation en Afrique (KTAA) ? des actions ciblée de relance budgétaire faisant la différence) - est le premier rapport graphique qui présente dans un manuel concis des exemples concrets de solutions d'adaptation économiques réussies à faibles coûts provenant de l'Afrique subsaharienne.

Le rapport inclut des exemples de projets d'adaptation réussis qui ont fourni l'impulsion aux investissements gouvernementaux à grande échelle et pour une action politique. :
Selon le rapport, d'ici à 2050 la population africaine aura doublé. Le continent abritera alors 2 milliards de  personnes dont la majorité dépendra de l'agriculture pour leurs moyens de subsistance.
 « Avec 94 % de l'agriculture qui  dépend de la pluviométrie, les impacts futurs du changement climatique - y compris l'augmentation des sécheresses,  des inondations et  de la montée du niveau de la mer ? peuvent  réduire le rendement des cultures dans certaines régions d'Afrique de 15 à 20 pour cent, » a déclaré-le  Secrétaire-général adjoint de l'ONU et le Directeur exécutif du PNUE Achim Steiner.

«Le manque de réponse d'un tel scénario, pourrait avoir des conséquences graves pour les États les plus vulnérables d'Afrique. »
«S'appuyant sur des projets mis en ?uvre dans divers pays d'Afrique subsaharienne, le rapport KTAA démontre clairement comment les investissements dans les mesures d'adaptation peuvent fournir, non seulement des solutions à faible-coûts aux défis du changement climatique, mais peuvent  aussi réellement stimuler les économies locales  à travers  une utilisation plus efficace du capital naturel, créer des emplois et accroitre les revenus des ménages. »

«En intégrant les stratégies d'adaptation au changement climatique dans les politiques de développement nationales, les gouvernements peuvent fournir  une transition vers la croissance verte, protéger et améliorer les moyens de subsistance de centaines de millions d'africains », a-t-il ajouté.
La publication pratique  apporte des réponses au rapport de 2013 Africa Adaptation gap  (Combler l'écart d'adaptation en Afrique) qui a été approuvée par la Conférence ministérielle africaine sur l'environnement (CMAE), et qui a identifié  les coûts  potentiellement  prohibitifs du changement climatique en Afrique.
«Les menaces posées par le changement climatique, en terme de renversement des efforts de développement durant des décennies en Afrique, suggèrent que les efforts de développement futur doivent intégrer  une plus grande résilience aux impacts du changement climatique » a déclaré le Président de la CMAE et Ministre d'État pour l'environnement, de la république unie de Tanzanie, S.E Dr. Binilith Mahenge.
 « Le rapport KTAA est un guide d'action qui présente des  orientations dans différents secteurs et les pays africains devraient l'utiliser comme un document d'orientation pour investir dans l'adaptation au changement climatique. »

La première partie du rapport fournit des aperçus des impacts actuels et prévus du changement climatique sur les moyens d'existence, l'agriculture et la santé humaine et des écosystèmes en Afrique , en détaillant les impacts par région, pays et  même par villes.
La deuxième moitié du rapport décrit comment les pays  à travers des mesures d'adaptation climatique  à bas coûts peuvent améliorer la santé et le fonctionnement des écosystèmes ; renforcer les capacités communautaires pour gérer durablement les écosystèmes ; améliorer la productivité agricole ; et stocker l'eau de manière innovante.
Par exemple, un projet d'écosystème aquatique dans une collectivité locale au Togo a conduit à une augmentation de l'accès à l'eau pour l'usage humain, l'agriculture et l'élevage de 488 %.
Autres exemples clés de projets d'adaptation au changement climatique du PNUE

Projet de gestion des éco systèmes ? Seychelles
Résultat- Les Seychelles ont  introduit une législation nationale qui a changé les codes de construction des écoles  pour permettre la mise en place de  systèmes de captage des eaux Environ 400 enseignants et élèves des sept écoles aux Seychelles ont été formés sur les  principes de gestion des écosystèmes et les écoles ont pu économiser 250 $ US chacune sur des dépenses liées à l'eau.

Projet d'écosystèmes forestiers- Rwanda et Ouganda
Résultat- Au Rwanda, 2500 fermiers ont été formés en gestion de la terre et 4850 personnes ont été employées et payées  à travers des coopératives d'épargne et de crédit.
Résultat: Le projet  de 100 000 dollars  a impulsé un investissement de 25 millions de dollars  du Ministère de l'Agriculture du Rwanda.
Résultat- En Ouganda, un investissement de 13, 26 dollars par personne par an a généré des gains importants pour la protection des écosystèmes, l'amélioration des conditions de subsistance et la plantation de plus de 31000 arbres.

Projet d'écosystème agricole- Zambie
Résultat - Le nombre de ménages participants ayant un ou plusieurs produits agricoles excédentaires à vendre, est passé de 25,9 % à 69 %. Tandis que 61 pour cent des ménages ont déclaré que les ventes de produits agricoles excédentaires contribuaient à 50 pour cent ou plus de leur revenu.



L’oléoduc Tchad-Cameroun Un projet brûlant dans les tuyaux.

Le 6 juin dernier la Banque mondiale annonçait son soutien à un projet titanesque d’exploitation du pétrole tchadien. Titanesque car il implique la construction d’un pipe-line large de trente kilomètres entre les gisements de la région de Doba et Kribi, sur le littoral camerounais, à travers plus de 1000 kilomètres de savanes et de forêts. Titanesque de par les moyens engagés : 3, 7 milliards de dollars US. Titanesque de par l’aide publique apportée : le grand argentier de la planète abonde au projet par une participation de 476 millions de dollars US. Dont 400 millions pour soutenir le consortium.

Titanesque encore de par la polémique qu’il a soulevée tant en Afrique qu’en Europe et en France. Pour les dirigeants de la Banque mondiale (appendice financier des Nations Unies), les gouvernements tchadiens et camerounais ainsi que de nombreuses personnalité du monde politique et économique, il s’agit du meilleur et du plus ambitieux projet de développement qu’ait connu le continent, ces trente dernières années. Pour ses opposant recrutés parmi les ONG, les organisations de défense des droits de l’Homme - et même certains cercles économiques - ou les représentants des paysans tchadiens, Doba-Kribi est emblématique de l’exploitation sans vergogne du Sud par le Nord. La preuve par trois du dévoiement de la Banque mondiale dont la mission de lutte contre la pauvreté servirait de cache sexe aux intérêts des " World Companies ".
La rédaction d’afrik.com a cherché à comprendre les ressorts du plus grand conflit de diagnostics qu’ait vu l’Afrique.

Au sortir de notre enquête, il nous est pourtant permis d’établir les faits suivants :
Le contrat signé avec le gouvernement tchadien est aussi un marché passé avec l’un des régimes les plus corrompus de la planète. La Banque mondiale a fondé sa décision sur la base d’expertises envionnementales proches -sinon commanditées - par le consortium et dans une grande opacité. Des avancées considérables ont été réalisées dans ce domaine depuis la première version du projet. Toutefois, l’ensemble du dispositif repose sur la certitude d’un risque de pollution égal à zéro. Les consultations des paysans tchadiens ont été réalisées sous la terreur des militaires. 
De grosses zones d’ombre planent sur le chiffre réel des personnes expropriées et le montant de leur indemnisation. Le contrat signé entre le consortium et les gouvernements camerounais et tchadiens est médiocre, conformémement au rapport de force défavorable à l’Afrique et ses nations.
Autre certitude : si les affrontements sont si vifs, c’est que le débat dépasse largement le clivage pour/contre d’un tuyau aux proportions pantagruelesques. C’est un large éventail de questions relatives aux rapports économiques Nord/Sud et aux implications des institutions et des organimes internationaux dans un monde globalisé qui jaillissent de ce débat avant même qu’une seule goutte n’ait percé le sol tchadien. Autrement dit : un sujet passionnant. Mais de cela, aussi, nous laissons les lecteurs juges...

Environnement : attention dommage
Impact environnemental. Pas de plans d’évacuation. Des décisions prises sur la base d’expertises complaisantes. Des omissions troublantes. En dépit des avancées considérables réalisées dans les domaines de la protection de l’environnement, l’oléoduc Tchad-Cameroun reste un projet à haut risque.

Les fuites de l’oléoduc, la contamination des eaux souterraines et la pollution des eaux douces et de la mer seront des dangers permanents. Le pétrole brut contient de nombreux métaux lourds et hydrocarbures toxiques qui, en cas de fuite, pollueraient les eaux utilisées par les populations locales pour leur besoins domestiques. Riche d’une diversité biologique, de pêcheries artisanales qui fournissent des protéines aux habitants, le littoral de Kribi est également exposé à un risque de pollution, indique une étude de l’université de Warwick (Grande-Bretagne), datant de l’année dernière.
Dans la même étude, on estime à près d’un milliard de dollars Us la valeur des ressources renouvelables qui seraient menacés en cas de pollution (soit 104 dollars/habitants) alors que les bénéfices du projet sont estimés à 4 dollars/habitant durant les trente ans que durera l’exploitation. Les risques d’un désastre écologique sont d’autant plus certains que le choix d’un tanker à coque unique pour le terminal flottant de stockage et de déchargement a été retenu par les porteurs du projet. Une telle option n’est pas sans crainte. On se rappelle l’accident de l’Exxon Valdez qui a saccagé les côtes de l’Alaska, et plus récemment la catastrophe de l’Erika au large des côtes vendéennes. Ces dommages impliquent des navires à coque unique.
Absence de plan d’intervention en cas de fuite : 

La version actuelle du projet, dite PAD (Petroleum development and pipe-line projectal, Projectal appraisal document), prévoit le financement de deux réserves protégées à hauteur d’environ 3 millions de dollars US. Grâce à la mobilisation des ONG, le tracé de l’oléoduc a été modifié pour éviter la grande forêt de Deng-Deng dans le centre du Cameroun. Prix du crochet : 12 millions de dollars US. Selon, le dernier rapport de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), des précautions considérables ont été prises pour limiter les fuites : vannes tous les 30 kilomètres, capteurs de haute précision pour enregistrer les variations de pression, construction du pipe-line selon les standards occidentaux, surveillance terrestre et aérienne. Le projet prévoit aussi de réinjecter l’eau contaminée par le pompage du pétrole en grande profondeur pour éviter de contaminer les nappes qui alimentent le lac Tchad et la rivière Logone.
En revanche, selon la fondation américaine Environmental defense fund, il n’y a, jusque là, aucune analyse sur les trajectoires des nappes en cas de fuite, ni de plan d’intervention spécifique. Un bureau d’études indépendant néerlandais qui a fourni une étude comparable laisse entendre un même son de cloche, en insistant sur les " nombreuses insuffisances et notamment de graves lacunes dans le plan d’urgence en cas de pollution du littoral ".
Si elles venaient à être confirmées, de telles informations constitueraient une violation flagrante des principes élémentaires de protection de l’environnement édictés par la Banque mondiale elle-même. La menace n’est pas à prendre à la légère si l’on prête une oreille attentive à un spécialiste du pipe-line, cité par le député Yorongar dans l’Autre Afrique n°31 : " La capacité de détection des fuites par les systèmes des plus sophistiqués laisseraient tout de même échapper environ 10.000 litres de pétrole par jour sans être détectés ".
Déplacement de populations autochtones
Sur une population de 6200 familles recensées sur le site du projet, c’est un nombre faible qui pourrait être déplacé, "probablement entre 60 et 150 à la suite de la perte de terrains de culture " notent les experts de Dames and Moore, le bureau d’étude américain qui a réalisé l’étude d’impactenvironnemental du projet pétrolier Tchad-Cameroun. Alors que Michel Rocard parle de 37 personnes (lire interview). Selon la FIDH, 26 familles ont d’ores et déjà été déplacées. Soit 185 personnes. La compagnie Esso leur a ménagé un habitat jugé convenable, mais le système d’indemnisation prévu par la compagnie ne permettra pas aux intéressés de retrouver leur niveau de vie antérieur... en dépit des engagement pris.
De son côté, le député Yorongar prévoit entre 80.000 à 100.000 le nombre des personnes à déguerpir. Mille huit cent hectares de terres agricoles de savane et de brousse seront affectés par le projet, indiquent les des experts, tout en précisant que "l’impact sur l’environnement sera atténué ".
Les experts du bureau d’étude américain Dames and Moore se sont livrés à un exercice laborieux consistant à minimiser considérablement l’impact écologique du projet. Les mêmes experts reconnaissent toutefois, dans leur étude datée de 1997 : "La coupe et le défrichement de la savane boisée pour la préparation des sites durant la construction des plates-formes des puits, des stations de collecte, de l’oléoduc et autres infrastructures liées à ces installations peuvent avoir une influence négative sur les sols en enlevant le couvert végétal et en exposant le sol plus directement à des pluies et des vents plus violents ".
Au lieu de fournir des éléments concrets pour étayer la thèse d’un faible impact environnemental, le rapport s’étend longuement sur les conséquences sociales - positives- du projet en cas de mise en oeuvre : création de deux à trois mille emplois ; un total des salaires payés à des travailleurs tchadiens " d’environ 16 millions de dollars " et " l’augmentation des revenus d’une grande partie de la population ". 

Doba-Kribi : un pipe-line qui cache une forêt de tuyaux 

Dans la sous-préfecture de Bébédja et aux alentours, il y aura, selon le député fédéraliste Yorongar, un maillage d’environ 3000 tuyauteries pour évacuer le pétrole brut des puits vers les trois stations de Komé, Miandoum et Bolobo. Sur ce champ,
 " on n’a pas encore une étude d’impact environnemental, on parle uniquement de l’étude d’impact sur le tracé Doba-Kribi " clame M. Yorongar, député fédéraliste farouchement opposé à l’exploitation du pétrole dans les conditions actuelles.
L’Etude de Dames and Moore est-elle fiable ?
Le bureau d’étude Dames and Moore est très connu aux Usa pour compter parmi ses principaux clients la compagnie Exxon. "Il s’agit d’une étude très complaisante, émanant du consortium en aucun cas une étude indépendante ", estime Korina Horta, de la Environmental Defense fund. Nombre d’acteurs du projet doutent de la fiabilité de ce bureau d’études dont les affinités et autres convergences d’intérêts avec Esso et la Banque Mondiale sont un secret de polichinelle. Une ultime mouture intitulée " Projet d’exportation tchadien "(Etude d’impact environnemental et plans de gestion) a été publiée en octobre 1999. Elle a été commandée par Exxon.
Les problèmes liés à la surveillance environnementale. Risques d’intimidations sur les personnes :
Les différentes structures, Comité de surveillance inclus (structure regroupant les représentants de chacune des parties concernées y compris les ONG et des représentants de la société civile) chargées de veiller au bon déroulement du projet, ne contiennent pas de plans spécifiques de surveillance de l’environnement. Un Plan de gestion de l’environnement (PGE) est bel et bien au programme. Mais il est confié aux seuls gouvernements tchadiens et camerounais. Au Tchad les campagnes de consultations ont été réalisées en présence de la Garde Républicaine qui terrorise la population du Sud. Difficile dans ces conditions d’imaginer un contre pouvoir capable de faire entendre sa voix auprès des représentants politiques.
Afrik.com

mercredi 16 juillet 2014

«Le projet GAVAD pallie les limites de la gestion traditionnelle des déchets».Interview de PIERRE DIOH, Maire Adjoint de Joal-Fadiouth.

Pierre DIOH adjoint au Maire de Joal-Fadiouth
PIERRE DIOH, Maire Adjoint, Promoteur des projets GIVAD (Gestion Intégrée et Valorisation des Déchets dans la Commune de Joal-Fadiouth) et GAVAD (Gestion Améliorée et Valorisation Agricole des  Déchets dans les Communes de Joal-Fadiouth et de Mbour.)

«Le projet GAVAD pallie les limites de la gestion traditionnelle des déchets»

Quoi de vert ? : La pression démographique et le solde migratoire  assez élevé rendent complexe la gestion des externalités négatives. Avez-vous des données sur la production de déchets actuelle dans les localités que couvre  le projet GAVAD ?
Pierre Dioh : Une idée sur des quantités en tonnage, non. Mais quand on a démarré le projet, on avait déjà quantifié, au niveau des ménages, quelle était un peu la production. Maintenant, il faut qu’on retrouve ces chiffres et qu’on les multiplie par le nombre de la population, pour avoir une idée.
Mais je pense qu’il n’y a pas à trouver un tonnage. En se  promenant, on se rend compte  que les villes de Joal et de Mbour sont des zones de concentration et d’externalité, du fait de l’activité de pêche qui attire une très forte migration. Et quand on parle d’externalités  négatives, ici, c’est surtout le plastique et les ordures ménagères. Les gens mangent dans la rue, parce que, socialement aussi, ils ne s’en rendent pas compte. Quand vous êtes dans une ville de migration, les  populations sont dans des conditions précaires, et  elles produisent  plus d’ordures.  Ce sont des gens qui sont les plus compliqués à gérer, parce que quand les ordures sont générées dans les foyers, c’est possible de les collecter et cela ne pose pas de problème. Mais quand elles sont générées par des gens qui sont là aujourd’hui, là-bas demain, qui n’ont pas de domicile fixe, qui ne s’attachent pas trop à un milieu géographique bien précis, il est difficile de gérer ces ordures-là.
Quand une partie  des ordures  est générée au niveau domicile et une  autre  partie régulièrement à travers les restaurants et les vendeurs ambulants, à travers ces gens qui mangent dans la rue, il y a  des facteurs aggravants qui rendent complexe la gestion des ordures dans des villes comme Joal et Mbour, qui sont des villes de pêche.
 Comment avez-vous accueilli le projet GAVAD ?
Le projet GAVAD, nous ne l’avons pas accueilli, c’est nous qui l’avons promu. Nous en sommes les promoteurs. Il est né d’un projet-pilote qu’on avait déjà essayé à Joal, sur deux quartiers : Ndiong et  Mbelegnuim. C’est là-bas qu’on a testé ce qu’on est en train de faire aujourd’hui en grandeur nature, dans la ville. C’est parce que ça avait fonctionné au niveau de ces quartiers qu’on s’est rendu compte qu’une approche communautaire  est l’avenir de la gestion des ordures dans les petites villes comme Joal. Je ne sais pas si cette approche est faisable dans les grandes villes comme Dakar, Saint-Louis ou Thiès, mais dans des villes comme la nôtre, il est non seulement possible de gérer les ordures, de les maîtriser, mais aussi de créer des emplois et des richesses tout en assainissant l’environnement.

Malgré les  habitudes cultivées, la gestion des ordures ménagères est une compétence transférée.  Qu’est-ce qui a bloqué le système traditionnel de la  gestion des ordures ménagères ?
Ça n’a pas bloqué. En fait, le projet GAVAD est une réponse aux limites qu’on a constatées dans la gestion traditionnelle des déchets dans les collectivités locales. En tant que compétence transférée, ce que toutes les communes du Sénégal qui avaient les moyens faisaient, c’était d’acheter un camion et de collecter quotidiennement les ordures le long de la route. On s’est rendu compte que cela ne marchait pas. Dans une ville comme Joal, on se rend compte qu’il y a un dessin  longiligne avec une seule route goudronnée. Avec 15 tonnes de poids sans les ordures, ces camions ne peuvent pas aller dans les zones sablonneuses. Si vous allez à Mbour, vous avez une zone qui s’étend sur des milliers d’hectares où il n’y a pas de route goudronnée. Cela veut dire que si le camion s’aventure en dehors de la route, il s’embourbe. Ça, c’est un premier facteur qui explique pourquoi ce système traditionnel dont vous parlez a bloqué.
Ici, compte tenu de la longueur de Joal, le camion qu’on avait, quand il prenait départ à la mairie, il ne peut pas aller à Fadiouth, qui est une partie intégrante de la ville, mais malheureusement insulaire. Ce qui veut dire que Fadiouth à lui seul justifie le fait qu’on puisse réfléchir à un système communautaire de gestion des ordures.
Mais dans le cas précis de la ville de Joal qui s’étend pratiquement sur 5 km de long, vous prenez un camion avec une benne le lundi matin, parce que les  fonctionnaires ne travaillent pas les week-ends, même s’ils n’ont pas le même statut que les autres fonctionnaires, parallèlement, c’est les jours où les populations sont dans leur foyer, subséquemment, et ce sont les jours où il  y a le plus d’ordures et le système ne fonctionnent pas. Ce  qui veut dire que pendant deux jours, il n’y a pas de collecte d’ordures.
Le lundi, quand le camion  commence la collecte des ordures, avant de faire le tiers de Joal, il est plein. Donc il faut aller décharger. A 16 h, quand les gens descendent, ils n’ont pas fait la moitié de Joal. Ce qui veut que dans certains quartiers, surtout ceux qui sont au bout de la ville ou  sur les 2 derniers kilomètres, les ordures du samedi, du dimanche et du lundi n’ont pas été collectées, et celles du mardi sont encore dans la rue, parce que le camion n’est pas venu depuis vendredi. Car les gens n’ont pas travaillé le samedi et le dimanche, et le lundi, ils n’ont pas pu terminer le circuit. C’est ce qui explique la présence, au bout de la ville, des tas d’ordures.
Parallèlement, en plus des animaux errants qui viennent culbuter les bacs à ordures, les femmes n’ont pas envie de se faire voler leurs poubelles. C’est ce système-là qui a échoué. On s’est rendu compte que le système de collecte avec des camions à benne ne marche pas parce qu’il y a des jours qui sont où fériés ou non-ouvrables et l’on ne peut pas obliger les gens de la voirie qui sont des fonctionnaires à aller travailler.
Donc, le projet GAVAD est une réponse à ce système-là.  La gestion des déchets est une compétence qui appartient à la commune qui est, par extension, la communauté de Joal. C’est la population, c’est le quartier. Au nom du principe de subsidiarité, on a demandé aux gens d’appliquer la compétence qui était revenue à la mairie et que cette dernière ne pouvait pas assumer, compte tenu des problèmes techniques dont je viens d’évoquer. Donc, au lieu de faire une collecte traditionnelle qui a échoué partout, même à Dakar, on va faire une collecte communautaire.
  
A quoi consiste la collecte communautaire ?
Elle est simple. Nous avons demandé aux quartiers de gérer leurs ordures eux-mêmes. En quoi faisant ? Nous avons éliminé le véhicule. Nous avons donné à chaque quartier une charrette et un âne ou deux charrettes et un âne, selon sa dimension et celle des foyers. La charrette collecte les ordures du quartier uniquement.
Nous avons demandé aux populations de participer à cet effort, indépendamment de la TOM (Taxes sur les ordures ménagères) qui est versée. La participation est de 500 à 1 200 F CFA par foyer et par mois. Selon un processus de communication et de  sensibilisation qui a duré plus de deux ans, nous avons installé des comités de salubrité  autonomes dans chaque quartier. Ces comités gèrent la charrette et le matériel qui a été  mis à leur disposition par la mairie. C’est-à-dire l’âne, la charrette et le petit matériel. Le charretier devient un salarié du quartier. Tous les foyers payent et c’est le quartier qui gère son argent. A la fin du mois, quand le charretier est payé, il leur reste de l’argent dans les caisses et le quartier est propre. Quand les charretiers se lèvent, ils collectent toutes ordures de tous les quartiers facilement avant 11 h. C’est ce système-là qu’on a essayé comme projet-pilote au niveau de Mbélégnème et de Ndiong, et qui a marché. Il nous a fallu 3 millions de l’ONG Tostan pour faire ce projet pendant 2 ans.

Quel sort réservez-vous aux ordures collectées ?
Les ordures ont une valeur et nous avons rajouté la partie valorisation en faisant du compost. La nécessité de faire du compost donne une autre obligation, celle de trier les ordures. Nous avons réussi à convaincre les populations à trier les ordures à domicile. Ainsi, ce qui est compostable va dans une poubelle rouge et ce qui ne l’est pas et qui pourrait faire aussi l’objet de valorisation est recueilli dans une autre poubelle.
Donc le projet GAVAD prend en compte la gestion communautaire des déchets et leur valorisation en aval. C’est ce qu’on a réussi à faire à Mbélégnème et à Ndiong et que la mairie a continué à faire à travers des financements propres dont certains nous venaient de l’Italie, de l’ambassade des Etats-Unis et de l’USAID d’autres de WWF.  
Ensuite, nous avons étendu le projet à quatre autres quartiers sur fonds propres. C’est compte tenu de cette expérience qu’on a eu l’appui technique d’APTE qui  nous a aidé à  monter un projet qu’on a soumis à l’Union européenne et qui a été financé. C’est le projet GIVAD. Mais son financement ne couvrait pas toute la ville de Joal. Quand vous faites le système sans couvrir toute la ville, c’est comme si vous ne faites rien. Parce que s’il y a une partie qui est propre et une autre qui ne l’est pas, les ordures des quartiers sales vont contaminer ceux qui sont propres. C’est comme dans la médecine, si vous mettez ensemble quelqu’un qui est malade et quelqu’un qui ne l’est pas, le sujet malade va contaminer le sujet bien portant. C’est alors qu’on a eu la chance et l’opportunité, avec l’appui des experts d’APTE de proposer un autre projet qui a été encore financé par l’Union européenne, avec des arguments convaincants. C’est vrai qu’on avait un document qui était bien ficelé, en plus de notre expérience du terrain et qu’on a essayé de vendre à plusieurs communes du Sénégal. Je vous garantis qu’il y a eu plus de 100 communes qui sont venues ici s’imprégner de cette expérience, y compris  des communes d’arrondissement de Dakar. On en a eu plus de 80 qui nous viennent de Kaolack, Tamba et qui sont encadrées par le projet CARITAS., mais aussi des éco-villages. Et beaucoup de communes sont en train de tenter cette approche.
Pour  résumé c’est une gestion communautaire qui permet aux populations de gérer leurs ordures et que la mairie s’occupe de deux choses : en amont, elle donne l’équipement à travers les ânes, les charrettes et le petit matériel de collecte. En aval, elle s’occupe de la valorisation.
La mairie crée des centres de compostage et des centres de dépôts des 5 ou 6 % qui vont rester et qui ne sont pas valorisables, c’est-à-dire la ferraille, les éclats de verre, etc. 
Aujourd’hui, nous y avons même ajouté une autre dimension : la  gestion du plastique. Nous avons actuellement la capacité technique et financière de gérer le plastique pour qu’il disparaisse de Joal, même si l’Etat pense faire une loi. Je pense que ce n’est pas une loi qui va régler la problématique du plastique, mais plutôt un comportement. Si vous prenez la drogue, malgré son interdiction, elle est omniprésente au Sénégal.

GAVAD est une réponse  aux limites de la gestion traditionnelle certes, mais ce matin, en arrivant à Joal, nous avons aperçu la présence des  tas d’ordures à l’entrée. Pourquoi ?  
C’est  lié au fait que le projet est en cours et qu’il n’est pas fini. On a un projet qui est un peu dangereux, parce qu’il ne peut marcher que  quand toute l’infrastructure sera mise en place. Et malheureusement les projets ne fonctionnent pas comme ça. Dans la planification, on n’a pas pu mettre toute l’infrastructure sur place tout de suite.
L’infrastructure c’est deux choses : il y a le matériel qui est destiné à la communauté pour la collecte des ordures et celle qui est destinée au traitement des ordures. Du point de vue des communautés, on a tout donné, et même des sacs pour collecter le plastique au niveau du foyer.
Mais aujourd’hui, dans la zone de Santhie, on n’a pas encore mis sur place les centres de compostage. S’il n’y a pas de centre de compostage, il n’y a aucune raison de demander aux gens de trier les ordures. Et quand ils ne trient pas, parfois vous retrouvez les ordures dans la rue.
Mais quand vous rentrez dans les quartiers qui sont aux alentours de la mairie, il n’y a  pas ce phénomène, parce que le projet est parti de ces zones vers la zone de Santhie qui est plus compliquée. On est parti des quartiers traditionnels où il y a plus de  connaissance, plus de cohésion sociale, où il y a plus de stabilité sociale. Parce que les populations traditionnelles de Joal  vivent-là.  Et c’est différent. Quand vous allez dans les villes comme Mbour et Joal, les habitants et les gens qui y vivent n’ont pas le même comportement. La personne qui habite dans les quartiers de Ndiong  ou de Mbourdiouham, n’est là parce que son papa, sa maman et son grand papa étaient tous-là. Cette personne s’occupe de son environnement. Et quand vous lui donnez une solution comme GIVAD ou GAVAD, cette population adhère automatiquement. Parce qu’elle y trouve son compte du point de vue de la salubrité et de la vie sociale. Si vous allez dans ces quartiers, les populations  ont des «Nguel», des places publiques où  elles se retrouvent  pour faire vivre ce ciment  social.
Or, quand vous allez dans les quartiers d’extension, cette vie sociale n’existe pas. Ce sont des Kadjor-Kdjor, des Baol-Baol, des Diolas, des Toucouleurs qui sont venus pour la pêche.

Comparée à plusieurs autres villes du Sénégal, Joal reste une petite ville.  Quelles solutions définitives pour parvenir à ménager ces quartiers d’extension ?
La ville de Joal a quadruplé en moins de vingt ans. C’est très rare au Sénégal.En 1981, cette ville s’arrêtait à peu près à 100 m de la gendarmerie. Le tracé allant du quartier des HLM jusqu’au port n’existait pas.
Aujourd’hui,  les trois-quarts de la population de Joal habitent dans la zone d’extension. A titre d’exemple, puisqu’on est dans un contexte d’élection locale, je vous donne un chiffre qui va être facile à calculer. La population électorale de Joal tourne autour de 18 000 électeurs. A Fadiouth, nous avons à peu près 1 000 électeurs. Dans les quartiers traditionnels de Joal, ils sont environ 5 000 électeurs. Pour un total de 6000 électeurs. Les 12 000 électeurs qui restent  sont  dans des zones qui n’existaient pas. A la place, il y avait une forêt en 1981. Après les mauvaises récoltes de 1981, c’est l’Etat du Sénégal, à  travers  l’armée qui a aidé la commune de Joal à faire un lotissement. Une grosse partie de cette population n’est pas encore stabilisée à Joal. Parce que vous savez aussi bien que moi que les pêcheurs migrent en fonction des saisons. C’est ce qui fait qu’on note la présence des  Guinéens, des Burkinabè, des Maliens, pour  au moins 6 mois. Même s’il y a certaines espèces qui sont péchées saisonnièrement, à Joal, la pêche est continuelle.
Parallèlement, les activités de la transformation qui concernent à 80 % la sardinelle, amènent les femmes à s’installer ici. A cela s’ajoute toutes les populations des villes aux alentours  qui n’ont rien à faire après l’hivernage et qui viennent à Joal où elles peuvent facilement trouver  des emplois, de l’argent et surtout de la nourriture à très bon marché. Une grosse partie de cette population n’est pas stable.
Pour la petite histoire, lors du dernier recensement, il arrivait qu’un agent  fasse quatre ou cinq aller-retour dans une maison, avant de tomber  sur  ses occupants ; ils ne sont jamais là. Ces gens-là, il est difficile de les gérer. Le système est basé sur  le principe du chef de la famille. On dit que cette maison appartient par exemple à Mme Dia. Donc quand on fait le recensement c’est le chef de famille qu’on recense. Si vous allez à Santhie, vous trouvez une maison avec 6 pièces ; en dehors du propriétaire qui est absent, il n’y a que des locataires, ce sont des pêcheurs. Ils ne sont jamais là. Quand ils arrivent, c’est pour se débarrasser de leurs bagages, aller dans les restaurants, dans les bars se défouler. Ces pêcheurs, au bout de quelques mois, s’en vont. On ne peut pas les gérer et c’est eux qui  génèrent beaucoup plus d’ordures.
L’aspect social qui permet au quartier d’être cohérent  et  bien organisé autour du comité de salubrité pose aussi problème. Dans  les quartiers traditionnels comme Mbélégnème et Ndoubab qui abritent des «Ngeul» ou tout le monde se connaît, dans les quartiers d’extension comme Santh les gens ne se connaissent pas. Sur 10 personnes, le délégué de quartier ne peut identifier que 4 ou 5 individus. Et quand vous voulez faire un projet sur une base communautaire, il faut que la communauté existe socialement. Je n’ose pas prononcer le mot périphérie, ce sont des Joaliens à part entière, mais l’absence  d’infrastructures, le  problème ardu de la  sensibilisation, et de la  cohésion sociale rendent difficile la manœuvre dans les quartiers d’extension.
Mais nous espérons que quand nous aurons mis les infrastructures sur place et en mettant en synergie nos efforts, on pourra corriger toutes ces difficultés.

Avez-vous identifié des pistes de solutions ?
Nous sommes en train d’installer deux infrastructures et il y a un troisième chantier qui n’est pas encore ouvert. Quand on aura terminé toutes ces infrastructures, ça sera plus facile. On va reprendre la sensibilisation. On s’est aussi adossé sur un projet d’ENDA-Santé qui est ici à Joal et qui travaille dans le cadre de la santé avec une approche environnementale.
Je pense que la priorité ce n’est pas de soigner les gens, mais c’est d’éviter qu’ils tombent malades. On sait qu’à Joal, la santé est intrinsèquement liée à l’environnement. Aujourd’hui, nous avons un protocole d’accord qui nous lie. C’est dans ce cadre qu’on a formé 26 relais. Des Joaliens qui sont installés ici et qui sont répartis dans les différents quartiers. Et on a fait de telle sorte qu’à la fin du projet, qu’ils puissent continuer à faire cette sensibilisation. C’étaient déjà des relais communautaires qui étaient sur le terrain, mais à qui on a renforcé, en termes de gestion des ordures et de l’environnement.
Nous envisageons aussi d’initier un  certain nombre de formations pour que les comités de salubrité fonctionnement mieux. Le projet qui va au-delà de la communauté  pose aussi le problème de la participation, de la démocratie et le devoir de  rendre compte. Une partie de la population adhère parce qu’elle sait que c’est transparent. L’autre partie  refuse parce qu’elle se dit qu’elle ne sait pas où va l’argent. Ce n’est pas seulement les politiciens ou l’administration qui doivent rendre compte, c’est une demande des populations qui sont à la base. Cette demande tourne autour de la transparence et de la  démocratie. Dans ce sens, avec les experts qui viendront, nous tiendrons des ateliers  de formation pour apprendre aux gens à rendre compte régulièrement pour permettre deux choses :
-                convaincre les gens qui hésitent parce qu’ils pensent que l’argent va être bouffé,
-                faire fonctionner le projet, parce que si le charretier ne travaille pas, le projet ne fonctionne pas. Et si ce dernier n’est pas payé, il ne travaille pas. Son salaire dépend du payement de chaque foyer. Même s’il existe, dans certains quartiers, des foyers qui n’ont  pas la capacité de  payer du fait de la pauvreté extrême, socialement la communauté doit les soutenir et continuer à enlever. Parce que si on l’exclut du système de collecte, ses ordures vont  rester dans la rue.
-                Au niveau des quartiers d’extension,  même si  on n’a pas la  même  ambition, je pense qu’il nous faut trouver une masse critique pour que les gens qui participent au projet soient un peu plus nombreux. De ce fait, ceux qui ne participent pas vont être gênés et participer à leur tour.

Nous sommes dans un contexte d’élection locale. Quel bilan  pouvez-vous mettre sur la table pour mériter à nouveau la confiance de la population  de Joal-Fadiouth ?
La question que vous posez est compliquée, parce que le contexte de Joal est particulier. Le maire titulaire de Joal est sortant. Mais je pense me prévaloir d’un certain nombre d’acquis.
Du point de vue politique, je pense que c’est un projet porteur, parce que pratiqué dans les foyers. Ce sont des femmes qui nous voient chaque jour venir leur parler, leur donner des poubelles quasi gratuitement. Des quartiers qui nous voient leur fournir des charrettes, remplacer les ânes morts, assurer la formation  et les sensibiliser, les aider à assainir leur environnement.
De ce point  de vue, le projet est porteur politiquement.

Après la fermeture de la décharge de Mbeubeuss et malgré le refus des populations, quels regards portez-vous sur la sur l’implantation du site de Sindia ?
Vous avez posé  deux choses : la fermeture de Mbeubeuss d’abord. Du point de vue environnement, c’est un processus qu’on ne peut pas arrêter. Il faut que Mbeubeuss disparaisse. Le refus des populations  au niveau de Sindia a peut-être posé un problème de communication et d’incompréhension. Mais je pense que l’Etat doit aller plus loin. La décharge de Mbeubeuss est grande parce qu’on ne gère pas les ordures. Aujourd’hui, l’avenir, ce n’est pas de prendre les ordures en  vrac et de les mettre quelque part. Parce que si on fait disparaître Mbeubeuss, en continuant dans le même processus, on recule le problème, on ne le résout pas. On va créer un autre Mbeubeuss parce que tant que les ordures arrivent en vrac, il faudra bien qu’on les  mette quelque part. L’avenir de la gestion des ordures, c’est le tri. On a calculé qu’a Joal, quand vous trier les ordures, le reste qu’on doit laisser dans une décharge contrôlée, constitue moins de 5% des ordures ménagères qu’une famille produit. Les chiffres ne doivent pas trop varier à l’échelle nationale.
Donc, il faut que l’Etat du Sénégal prenne une décision courageuse.  C’est de faire le tri et la valorisation. Les gens qui se tuent à Mbeubeuss doivent pouvoir faire de la valorisation, mais pas dans les conditions insalubres de Mbeubeuss. Mais il faut que les populations apprennent à faire le  tri. C’est l’avenir de la gestion des ordures ménagères.
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