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Commadant Lamine Kane-Cliché Quoidevert? |
Commandant
Lamine Kane, point focal du protocole de Cartagena au Sénégal
«L’absence de synergie grève l’efficacité des accords
multilatéraux»
Conservateur au niveau des parcs nationaux, le commandant
Lamine Kane est le chargé de la révision
du processus de la stratégie
nationale de conservation de la biodiversité. Rédacteur du 5e
rapport 2014 sur la diversité biologique
au Sénégal, Quoi de vert ? est revenu avec lui sur l’état de santé
de notre environnement biologique. Entretien exclusif avec le point
focal national du protocole Cartagena.
Quoi de vert ? :1) Pouvez-vous
revenir sur le protocole de Cartagena et ses objectifs ?
Cmt Lamine Kane : Ce protocole est un pendant de la
convention sur la diversité biologique qui a trois piliers
essentiellement : la conservation de la biodiversité, l’utilisation
durable de cette biodiversité, et le partage juste et équitable des bénéfices issus
de l’utilisation des ressources génétiques.
Au-delà de ces trois
piliers, il y a des enjeux importants nés de l’utilisation des biotechnologies
modernes qui ont un apport intéressant du point de vue de la sécurité
alimentaire, des applications pharmaceutiques et médicales. Au-delà de ces
utilités et de ces avantages, il faut quand même relever des risques potentiels
sur la santé humaine et sur l’environnement. En plus, il y a des aspects
liés à l’éthique et à la propriété sur le vivant.
C’est dans ce contexte que
la CDB (Convention sur la diversité biologique) a ouvert une série de
négociations qui ont débuté en 1997 et qui ont dessiné le chemin vers le
protocole de Cartagena. Ce protocole qui a été signé en 2000 et entré en
vigueur en 2003, gère les risques qui sont liés aux biotechnologies modernes en
vue d’assurer une sécurité sur la santé humaine et sur l’environnement pour
mieux conserver la biodiversité par rapport aux potentiels risques liés aux
biotechnologies.
Au plan national, quel bilan d’étape peut-on faire du protocole, depuis sa
ratification par le Sénégal ?
En signant le protocole en
2001 et en le ratifiant en 2003, notre pays
a montré sa volonté de s’engager dans cette mouvance internationale de
définir un minimum de sécurité par rapport aux risques liés aux
biotechnologies.Au-delà de cette date-charnière de ratification, le Sénégal a
commencé à élaborer son cadre national de biosécurité qui définissait un peu
les contours du point de vue institutionnel mais aussi une esquisse de réglementation
par rapport à l’utilisation des biotechnologies modernes, mais aussi au régime
de biosécurité lié à cette utilisation. En plus de la mise en place de ce cadre
national de la biosécurité, en 2009, la loi nationale sur la biosécurité a été
votée. Cette loi définit le cadre
réglementaire et juridique lié à la
biosécurité mais aussi à l’utilisation avec un risque moindre des
biotechnologies modernes. Durant cette même période, deux jalons
supplémentaires ont été posés : le premier est relatif à la signature du
décret portant organisation, fonctionnement
et mission de l’autorité nationale de biosécurité qui est
l’instance compétente en termes de
délivrance d’autorisation par rapport à l’utilisation et à la circulation des OGM (organismes génétiquement modifiés).
Elle est aussi compétente en termes d’inspection, de contrôle pour le niveau de
conformité par rapport à la loi. L’autre organe de régulation concerne le deuxième décret signé toujours en
2009 et qui porte sur l’organisation,
le fonctionnement et les missions du
comité national de biosécurité qui est le bras technique qui éclaire les avis
de l’autorité nationale. C’est un organe consultatif du point de vue
scientifique et technique. La signature de ces décrets a été suivie d’un ensemble de renforcement de
capacités aussi bien en termes de
gestion de l’information, de gestion du risque, mais aussi en termes de gestion
de communication sur le risque.
Il y a eu également des renforcements de capacités portant à la fois
sur les aspects liés à l’évaluation
et la gestion des risques portant sur les OGM et sur l’inspection et le contrôle ; sans oublier ceux portant sur
la notion de propriété
intellectuelle et de brevet sur le vivant. Mais aussi sur la réglementation en
cours au plan international.
Au niveau de l’UEMOA et de
la CEDEAO, il y a un effort qui est entrepris pour asseoir une réglementation
qui est commune à l’espace CILSS, CEDEAO et UEMOA pour éviter le double emploi
en termes de réglementation par rapport à ces trois institutions.
2) Malgré la volonté politique et la batterie de
mesures juridiques et institutionnelles, on assiste à une léthargie des organes de régulation.
Comment l’expliquer ?
C’est vrai que malgré le
relèvement du dispositif réglementaire et institutionnel, ces organes ont des
difficultés à fonctionner réellement. Pour rappel, le comité national a été mis
sur pied. Pour l’Autorité nationale de biosécurité, il y avait eu un directeur
exécutif qui avait été nommé. Entre-temps,
il y a eu une démission, mais après il y a eu une nouvelle nomination. Ce qui montre qui a un
signal fort pour au moins asseoir une autorité autonome qui joue pleinement son
rôle.
3) Sous nos cieux, les OGM ne
jouissent pas d’une bonne image. En tant
que point focal, qu’envisagez-vous de faire pour résoudre ce gap
communicationnel ?
Le plus important, c’est
d’utiliser la bonne information et d’avoir un débat moins passionné. Pour
les OGM, il y a deux aspects qui peuvent intervenir : Une volonté
politique d’adoption mais aussi une volonté des populations pour la
consommation. Tant que les deux conditions ne sont pas réunies, on ne peut pas
parler d’adoption des OGM. Au-delà même, les gens doivent réfléchir dans un
cadre global et cohérent qui peut définir les priorités du pays en termes d’option
sur le plan agricole, médicinal et pharmaceutique. On ne peut pas dire que les
OGM sont une panacée, c'est-à-dire une solution toute faite pour tous les
problèmes, mais au moins, ils peuvent contribuer. D’où l’importance de
dépassionner le débat et de ne pas
uniquement mettre le point sur l’aspect négatif en oubliant que
potentiellement, ils peuvent avoir un aspect positif.
Pour en revenir à la
communication, une rencontre élargie à d’autres partenaires à été récemment organisée par l’Autorité nationale
et le comité national de biosécurité. L’un des objectifs, c’est un peu de faire
l’état des lieux. L’autre objectif, c’est d’améliorer la communication. A
l’issue de cette rencontre, une feuille de route a été établie. L’un des
aspects forts de cette feuille de route, c’est de définir un plan de
communication et de dégager des outils de communication par rapport aux
potentiels que peuvent représenter les OGM aux inconvénients qu’on peut
noter au niveau des OGM, aux risques qui peuvent découler de l’utilisation des
biotechnologies, mais aussi des mesures correctives qu’on peut mettre en place
par rapport à ces risques. Quoi qu’on dise, quand on parle de risque, il faut
qu’il ait une bonne communication pour moins apeurer les populations et leur
donner la bonne information sur les effets adverses potentiels par rapport
à la santé humaine, à la conservation de
la biodiversité et au patrimoine génétique.
4) A quand la mise en œuvre de ce plan de
communication ?
Avec la nomination du
nouveau directeur de l’Autorité nationale de biosécurité, on pense que dans les mois à venir, surtout avec l’appui
des partenaires stratégiques comme le département d’agriculture des Etats
Unis l(USAID) et le projet Obama, financé par l’USAID, mais aussi avec
l’UEMOA, nous comptons bientôt mettre en place ce plan de communication en
termes de gestion de l’information sur
la biosécurité et le biotechnologie mais aussi la vulgarisation de certains
supports et outils de communication.
5) Vous êtes aussi chargé de la rédaction du rapport
national sur la diversité biologique. Qu’est-ce
qui a motivé la publication du 5e rapport sur la diversité biologique en
ce mois de mars 2014 ?
Pour rappel, le
rapport national est un processus qui
est effectué tous les quatre ans sur la base des directives de la CBD ;
mais aussi en fonction du souci des Etats de renseigner sur le niveau de mise
en œuvre de la convention, sur la mise
en œuvre de leur stratégie et plans nationaux d’actions pour la conservation de la
biodiversité, mais aussi pour mettre à jour les informations
relatives à l’état de conservation de la
biodiversité ainsi que sur les pressions qui sont exercées sur la biodiversité.
Au-delà de ces
aspects, les rapports nationaux constituent d’importants outils de
communication dans ce sens qu’ils mobilisent différentes parties prenantes et
qu’ils permettent de consigner un peu l’état et les tendances de la
biodiversité, et la mise en œuvre des documents stratégiques en matière de
conservation de la biodiversité. Mais aussi
du fait qu’on essaye d’utiliser un langage accessible à plusieurs cibles par rapport a son format.
Pour résumer, le
souci principal du rapport, c’est de
consigner toutes les informations relatives
au niveau de mise en œuvre de la convention sur la
diversité biologique au Sénégal dans un
document national, qui sera partagé à un
niveau international. Sans oublier les renseignements sur le niveau de mise en œuvre des orientations
en matière de conservation de la biodiversité.
6) Comment interprétez-vous la déclinaison de la politique de développement durable sur la
déperdition des ressources environnementales au Sénégal ?
Au-delà de la
volonté politique d’asseoir une ligne directrice en matière de
conservation des ressources naturelles
de façon générale, mais aussi de la biodiversité en particulier, il est
important aussi de reconnaître que
malgré ces efforts, on a une dégradation des ressources qui sont imputables à plusieurs raisons dont
la faible prise en charge de la notion
de biodiversité dans les différents secteurs de production au niveau national.
Il y a une
directive importante de la CBD qui tend
à promouvoir cette prise en charge réelle de la biodiversité dans les
secteurs de production. Parce que souvent
c’est seulement au niveau du secteur de l’environnement qu’il y a cette
prise en charge réelle des enjeux liés à la conservation de la biodiversité.
Or, étant donné que c’est une dimension transversale, il fallait au moins qu’il
ait une impulsion au niveau des différents secteurs pour qu’il ait une réelle intégration de
cette dimension de la biodiversité. Ça c’est un aspect. Mais aussi qu’il est
des mécanismes fédérateurs qui vont
au-delà même du ministère de l’environnement pouvant permettre d’avoir
une approche efficace de gestion de ces ressources en tenant compte du
caractère transversal de la conservation de biodiversité, mais aussi des
ressources naturelles.
7) Les autorités ministérielles ont-elles les moyens de leur politique, si l’on sait que
dans nos pays, l’environnement est le parent pauvre dans les arbitrages
budgétaires ?
Sur ce plan, on
peut noter une volonté politique de l’Etat de dégager des ressources. Mais en
considérant un peu de nombreux secteurs prioritaires, on peut quand même
remarquer qu’au-delà des efforts de l’état, on note un déficit sur ce
plan. Dans ce contexte , on se
félicite de l’apport de nos partenaires
extérieurs dans le cadre de
l’appui budgétaire. Mais n’empêche qu’il faut réfléchir sur la mise en
place de mécanismes de financement
durable et surtout en termes de mécanismes innovants. Innover par rapport à
l’approche classique de financement de la conservation. Comme la santé, la
conservation n’a pas de prix mais à un
coût.
Donc il urge
d’imaginer une diversification dans les mécanismes de financement en promouvant
des exemples liés à la RSE, et à d’autres types de mécanismes de financements
qui pourraient aider. Il faut aussi
développer les mécanismes liés aux fonds
fudiciaires pour renforcer le niveau de financements. Ces fonds fudiciaires,
les systèmes de fiscalités vertes, la RSE, ce sont autant de pistes qu’on
pourrait agréger. Mais en amont, il faut qu’il ait une définition claire de ce
qu’on veut en termes d’option de financement. Puisque les moyens de l’Etat sont
limités, et les efforts des bailleurs, bien qu’ils soient conséquents ne
peuvent pas répondre pleinement au financement de la conservation de la
biodiversité, il faut au moins définir e amont
une bonne mobilisation des ressources
à travers un mécanisme de financement durable.
8) La déforestation renvoie à l’émission de CO2, et
si nous abordons la politique d’adaptation comme le REDD, le reboisement est
devenu un instrument financier, alors qu’au Sénégal nous n'avons qu’un seul
projet pour absorber cet argent, c’est-à-dire la réhabilitation de la mangrove.
Comment faire mieux ? Ou bien y a-t-il des projets en cours
d’enregistrement ?
Pour l’aspect
financement, il faut élargir un peu la palette des projets éligibles parce que
souvent, il y a une certaine restriction par rapport à certains projets.
Or il y a différentes initiatives en
matière de conservation surtout au
niveau des aires protégées qui
malheureusement par rapport à
certains mécanismes internationaux ne sont pas très bien prises en compte.
Quand on parle de
puits de carbone, ou de zone à importants potentiels de séquestration de
carbone, je pense que les aires protégées ont un rôle très important à jouer.
Dans ce sens, il faut peut-être améliorer les mécanismes par rapport à
l’éligibilité en termes de projets d’adaptation aux changements climatiques et
au moins assurer un meilleur financement de ces aires protégées qui peuvent
jouer un rôle important.
9) Revenant sur la liste rouge de l’UICN en guise
d’exemple pour tous les oiseaux du monde
(10 000 espèces) risque de disparaître, d’autres mammifères, amphibiens,
etc., sont dans ce cas. La bonne nouvelle est que des pays comme le
Danemark ou la Suède ont réussi le risque d’extinction. Existe-t-elle une
logique de coopération opérationnelle en ce sens ?
Du point de vue
des espèces en danger, il y a une nécessité de réactualiser la liste pour voir
un peu le niveau de vulnérabilité des
populations de ces espèces. Au-delà de
ce besoin, l’état à nouer à travers de grandes structures qui fédèrent les états au niveau international un partenariat. Il est bon de définir une coopération beaucoup
plus orientée par rapport à des pays qui se sont révélé être des champions en
termes d’initiatives pour mieux conserver les espèces qui sont en danger.
Mais n’empêche qu’au niveau interne, des
mesures sont prises par rapport à des
espèces aussi bien animales, que végétales pour au moins promouvoir des approches de conservation in situ,
qu’ex-situ pour avoir une remontée biologique par rapport à cette population
d’espèces qui sont en danger.
10) La science
nous dit que l’Afrique va plus subir les effets du changement climatique.
Quelles solutions préconisent les institutions pour réintégrer ou préserver les
espèces menacés au Sénégal ?
D’abord, améliorer
le niveau de synergie par rapport aux accords multilatéraux sur
l’environnement. La difficulté qu’on a, c’est que quand on les rend opérationnels,
au niveau national, il y a un manque de synergie qui fait qu’on perd en termes
d’efficacité. Ensuite, renforcer le niveau de financement par rapport à des
options prioritaires en termes de
conservation des habitats.
Il faut aussi
essayer de prévenir par rapport à pressions potentielles, par le biais d’une
communication beaucoup plus accrue mais aussi de sensibilisation en termes
d’éducation relative à l’environnement,
mais aussi une sensibilisation des
populations sur les enjeux. Il y a aussi une autre option qui permettrait au
moins une meilleure responsabilisation
des populations en termes
d’initiatives communautaires de conservation. Promouvoir aussi l’intégration de
la dimension biodiversité dans les plans locaux de développement au niveau des
communautés rurales ; mais aussi
veiller à ce qu’il ait une approche beaucoup plus cohérente en termes
d’aménagement du territoire.
En guise de
conclusion, je lance un message en
termes d’amélioration de la prise de conscience par rapport aux enjeux
actuels. Se dire que certes, ce sont des
ressources qui potentiellement sont considérées comme renouvelables, il ne faut pas perdre de vue l’idée qu’au-delà du
caractère renouvelable, il y a une dimension
d’épuisement des ressources. Et si on ne fait pas attention sur cette dimension qui nous échappe, on peut
se réveiller avec une grande surprise par rapport à un niveau de dégradation
important. Donc il faut veiller à avoir des pratiques d’utilisation durables de
la biodiversité.
Baye SALLA MAR