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Sokhna Dié KA/Chargée de programme à APTE |
Sokhna Die KA , chargée de programme à l'ONG APTE:
«Que l’Etat accompagne les collectivités locales à mettre en place un système de tri à la base et de valorisation des déchets»
Pour revenir sur les
projets complémentaires (GIVAD) et (GAVAD) Sokhna Die Ka, juriste
environnementaliste et chargée de programme à l’ONG APTE, a accordé un
entretien à Quoi de vert ? pour
expliquer les contours et affirmer ses convictions dans la gestion des déchets.
Quel est votre domaine d’intervention et l’objectif de ce
projet ?
Sokhna
Die Ka : A Joal-Fadiouth,
nous intervenons dans la gestion des déchets via deux projets que sont GIVAD
(Gestion intégrée et valorisation des déchets) porté par notre organisation, et
GAVAD (Gestion amélioration et valorisation agricole des déchets) dans les
communes de Joal-Fadiouth et de Mbour, porté par la mairie de Joal et dont nous
assurons l'exécution technique.
En réalité, c’est la complémentarité de ces deux projets qui
a permis de couvrir toute la commune de Joal-Fadiouth et d’entamer le même
processus à Mbour.
L’objectif final de ces projets est d’accompagner les
populations, de mettre en place un système de tri à la base, d’aménager des
unités de compostage pour valoriser les déchets biodégradables, d’aménager une
unité de plastique pour le GIE Femme et plastique, d'aménager des périmètres
agricoles pour promouvoir l'agriculture péri urbaine et de faire beaucoup de
sensibilisation et de renforcement de capacités pour un changement de
comportement.
Nous sommes convaincues que seule la gestion communautaire
des déchets est la solution à l’insalubrité des villes.
L’absence
de plan de gestion des déchets dans la collectivité locale de Joal-Fadiouth a
rendu la collecte déficiente dans la commune. Qu’est-ce qui a motivé le
lancement des projets GIVAD et GAVAD sur
la Petite Côte ?
La
collecte des déchets n’est pas seulement déficiente à Joal. J’ai l’habitude de
dire, sur le ton de la rigolade, que quand tu arrives dans une ville du
Sénégal, en particulier dans les communes, les déchets sont les hôtesses ;
ils t’accueillent et te raccompagnent.
Donc
le problème, n’est pas seulement
spécifique à Joal, c’est un problème
national. Toutes les collectivités locales sont concernées, aussi bien les
régions, les communes que les communautés rurales.
L’avantage à Joal-Fadiouth, c’est que la
mairie avait déjà expérimenté et réussi un projet-pilote dans
la gestion des déchets. Vu l'importance de la réussite de la phase-pilote,
quand on a eu l’opportunité avec l’Union européenne (UE) dans le cadre de son
programme 10e FED, on a développé un projet commun qu’on a soumis à l’UE et
qui a été financé. C’était le premier
projet GIVAD. Quelques mois après, l’UE a lancé un autre appel à projet, dans
le cadre de son programme «Appui aux autorités locales». On a accompagné la
mairie de Joal-Fadiouth à développer un projet. L’idée, c’était de couvrir les
quartiers qui n’étaient pas pris en compte par le projet GIVAD. Puisque le montant de l’enveloppe était de
200 000 £ (131 000 000 F), on a dit que ce serait bien de voir
comment développer l’intercommunalité. Cette intercommunalité qui est tant
développée dans le Code des collectivités locales, mais qui malheureusement
n’est pas effective dans sa mise en œuvre.
C’est
ainsi qu’on a intégré la commune de Mbour. Au début, l’idée était de commencer
sur deux quartiers avant d’élargir. On
s’est rendu compte que les moyens nous permettaient d’aller au-delà des deux
quartiers. Donc on est parti sur cinq quartiers.
L’autre
élément qui a motivé le choix de ces cinq quartiers à Mbour, c’est que vouloir
régler le problème en aval sans le régler en amont, ne faisait que le reculer.
Et si on prenait les quartiers de Mbour-Maure, Mbour-Sérère et d’Escale, le
problème demeurerait entier, car la quasi-totalité de ces déchets provient du
quartier Tefess du fait des courants marins, car tous ces quartiers se situent
sur le littoral.
Sortir
d’une ligne automatique et proposer une tangente, c’est-à-dire la valorisation
des déchets dans l’agriculture péri urbaine. Quelle est la nature intrinsèque,
voire la catégorie de déchets sur laquelle vous vous appuyez ?
Dans
le projet-pilote, la mairie de Joal avait fait une étude qui avait révélé que
95 % des déchets qui étaient produits à Joal pouvaient être valorisés dans le
compost. On prend tout ce qui est déchets verts, tout ce qui est déchets
ménagers organiques. C’est essentiellement ces types de déchets qu’on valorise
dans le compost, tout en sachant que le plastique est aussi valorisé au niveau de l’unité plastique.
La gestion demande une mobilisation de moyens. Certaines actions sont onéreuses d’autres demandent plus
d’engagement. Cela peut être du temps ou de la finance. Comment le projet
répond-il à ces paramètres ?
Du
point de vue financier, l’Union européenne a voulu nous donner assez de
moyens à travers deux financements : l’un de 150 000 £ et l’autre de
200 000 £. Sur l’engagement, il y a beaucoup de gens qui sont engagés.
L’engagement qui m’a le plus séduite,
c’est celui de la mairie. C’est un engagement qui est fort. Elle prend
l’ensemble des décisions pour que le projet marche. Les populations sont
également preneuses du projet.
Abordant
l’enjeu crucial de la gestion des
déchets (la focale économie), quelles sont les approches dont vous avez eu
recours pour faire comprendre à vos parties prenantes qu’à travers les déchets
une activité lucrative peuvent en découler ?
En termes de quantité, les deux projets ont investi dans les
deux communes. Nous sommes actuellement à un investissement matériel de 32
charrettes et ânes (20 dans GAVAD et 12 dans GIVAD). Nous avons acheté 20 000
poubelles dont 12 000 dans GIVAD et 8
000 poubelles dans GAVAD.
A
Joal, chaque foyer aura deux poubelles et un sac. Pour faire un tri sélectif
entre le biodégradable, le non-biodégradable et le plastique. Nous allons
réhabiliter l’unité de compostage que vous avez visitée et refaire l’unité de
plastique. En même temps, on va construire
six nouvelles unités de compostage dont 4 à Joal-Fadiouth et 2 à Mbour.
Pour
les charretiers et les ouvriers des unités de compostage, nous avons acheté 170
tenues et 170 paires d’équipements de protection complets (bottes, masques, gants,
lunettes, fourches et râteaux). Nous allons renforcer la capacité des
bénéficiaires de projet en gestion financière et en gestion des déchets et techniques de valorisation
particulièrement le compostage.
Nous
allons créer «les emplois verts» par le recrutement de 32 charretiers, de 20
techniciens qui travailleront au niveau des six unités de compost. En plus du
personnel qui travaillera dans les périmètres maraîchers qui seront aménagés.
On a aussi aménagé trois centres de dépôt autorisés. Nous ne voulons plus
parler de décharge, mais de centre autorisé ; là où on ne mettra que 2 à 3
% de déchets produits. On est en train d’aménager une piste pour rendre
accessible le centre de dépôts de Fansanda, sur le bras de mer.
L’autre
élément qui me semble important, c’est l’organisation de journées avec les
élèves pour la «séquestration» du plastique. On accompagne les collèges, le
lycée de Joal et certaines écoles à sortir et à aller sensibiliser les parents
à récupérer les plastiques qui sont dans leurs écoles et leurs alentours. En
plus, on leur demande de ne plus jeter le plastique. Ce qui reste, c’est de
terminer les unités de compost et refaire l’unité de plastique.
A
6 mois de la fin du projet, nous en sommes à un taux d’absorption de 60 et 70 %
du budget global.
Les approches pour faire comprendre à la population qu’à travers les déchets, il y
a une activité lucrative. L’idée, c’était juste d’intéresser la population. Par
exemple, si tu prends la TOM, il n’y a que 10 à 15 % qui la payent au Sénégal. Dans ce projet, ce
qui a permis aux gens de s’engager, c’est qu’on leur a fait comprendre que non
seulement on les accompagne, mais aussi
on les autonomise et mieux ils peuvent avoir de l’argent avec les déchets. Si
nous prenons le comité de Diamaguène, non seulement, leur charretier à un
revenu mensuel de 80 000 F, mais c’est un comité qui réussit à faire des
bénéfices et à investir dans le social. Et quand le social est mis en avant,
les gens sont beaucoup plus coopérants et adhèrent. Les déchets, personne ne
veut vivre avec. Les gens veulent se débarrasser de leurs ordures. Quand ici, à
Joal, on leur propose une alternative où ils ne verront plus leurs déchets
trainer, où ils verront leur quartier propre et avoir de l’argent qui
appartient au quartier, je pense qu’il suffit juste qu’ils y voient les
retombées en contrepartie ; c’est-à-dire une bonne gestion du comité de
salubrité.
Que
nous disent les indicateurs sur la quantité de déchets valorisée ?
On n’a pas fini d’aménager les infrastructures. L’ancienne
unité ne valorise que les déchets de trois à quatre quartiers. On ne peut pas
trop se prononcer sur la valeur économique. Ce n’est pas encore très important.
On est en train de mettre sur pied une stratégie de commercialisation. On a
même démarché la SAPCO qui est preneuse de tout ce qu’on produit comme compost.
Présentement, je ne peux vous dire exactement ce qu’on sort en termes de
produit fini, parce que les infrastructures sont toujours en cours de
réalisation. Une fois les infrastructures
terminées et qu’on aura commencé la valorisation dans toute la commune
de Joal, je sais qu’on aura une grande quantité de déchets valorisés.
Revenant
sur le point de la suppléance comme le sous-tend le principe de subsidiarité
(l’un des principes du développement durable) quelle est la valeur prise par le
renforcement des capacités dans ce cas
d’espèce ?
D’une
manière générale, notre logique d’intervention s’inscrit dans la durabilité des
actions que nous menons sur place. C’est pourquoi, dans la quasi-totalité des
projets qu’on a eu à mettre en œuvre, que ça soit à Joal, à Saint-Louis ou à
Kayar, nous mettons beaucoup l’accent sur le renforcement des capacités et sur
les infrastructures. Parce que cela ne sert à rien de renforcer la capacité des
gens s’ils n’ont pas où l’exercer.
Donc on renforce leurs capacités et on leur donne des
endroits où ils peuvent les mettre en
œuvre. Ça permet de pérenniser le projet parce que nous sommes appelés à partir
dans 6 à 7 mois au maximum. On finit au mois décembre les deux projets. Là, ce
qui est en train de se produire nous permet d’avoir bon espoir que quand nous
ne seront plus là, les gens vont se prendre en charge. Parce qu’il faut le
reconnaître, la gestion des déchets incombe aux collectivités locales. Mais le
système tel qu’il est articulé au niveau de Joal, c’est une «délégation de
service public» qui est mise au niveau des quartiers. La mairie demande à chaque quartier de s’occuper de ses
déchets. Quand le quartier ne s’occupe que de ses déchets, ça devient moins
problématique. L’essentiel pour nous, c’est que le système marche, que le
charretier soit payé à la fin du mois, quand il y a un problème particulier
pour la charrette, qu’elle puisse être entretenue.
Concernant les bénéfices qu’ils ont à travers le paiement de
la redevance mensuelle des foyers, on n’interfère pas, on fait juste un suivi
et un contrôle pour vérifier l’effectivité du respect des procédures de
dépense.
Y
a-t-il eu une réorientation ou
étiez-vous une fois confronté à un problème lors de la mise en
œuvre ?
Joal,
avant le projet-pilote, était invivable. Vous remarquez qu’entre la mer et le
bras de mer, c’est à peu près 700 m de distance et c’est à la fois une zone de migration et d’inondation importante. Et si chaque
personne produit au moins 200 grammes de déchets par jour, sur 50 000
habitants, le résultat est vite trouvé. C’est vrai que c’était critique à Joal,
mais nous avons été très séduits par le
projet-pilote. Et on a dit que l’idéal serait de l’élargir dans la commune de
Joal-Fadiouth et dans toutes les villes du Sénégal.
A 6
mois de la fin du projet, quel bilan ou quels impacts positifs sur
les dimensions du DD ?
Je
parlerais plutôt d’effets, parce que la notion d’impact fait intervenir
beaucoup d’autres facteurs. L’effet immédiat, aujourd’hui, c’est le changement
de comportement constaté chez les populations. Egalement, on se rend compte que
Joal est devenue beaucoup plus propre. J’étais très séduite et agréablement
surprise par la propreté des quartiers qu’on a eu à visiter. Economiquement,
les comités de salubrité arrivent à être indépendants. On leur a doté de
poubelles, de charrettes et d’ânes, et on est en train de renforcer leurs
capacités pour leur dire : «Allez-y,
vous pouvez y arriver.»
Parallèlement,
l’argent que la mairie devait utiliser pour gérer les déchets, va servir à
l’éducation, la santé, entre autres. L’autre effet est lié à la santé ;
elle est cruciale dans un environnement. Je suis plus adepte de la prévention
que de la guérison. Nous profitons de l’occasion qui nous est offerte pour
remercier ENDA-Santé avec qui nous sommes en partenariat. Ce qui nous a permis de prendre en charge pas mal de
choses. On ne devait pas intervenir au niveau du quai de pêche, ce partenariat
nous permet de le faire. Ils sont venus renforcer la mutuelle de santé de
Joal-Fadiouth. Ce qui nous a permis d’inscrire tous les charretiers de
Joal-Fadiouth et les techniciens de
l’unité de compost. Ils ont tous une couverture maladie à hauteur de 80 % sur l’ensemble
des actes médicaux fait dans le district sanitaire de Joal et environ. Ils ont
également une prise en charge médicale sur l’ensemble des médicaments qui sont
disponibles au niveau de la pharmacie du district. On est en train de voir
comment externaliser la prise en charge à Mbour et éventuellement dans les
pharmacies privées. Mais tout ça est en cours de négociation. Je sais que rien
que la prise en charge médicale à elle seule est un facteur d’allégement qui
permet aux populations de se faire soigner.
Actuellement,
nous réfléchissons avec nos partenaires de ENDA-Santé sur comment prendre en
charge les familles de ces charretiers. Ça n’a pas encore démarré, mais c’est
là où nous voulons arriver. Que les gens puissent travailler décemment et que
ceux qui travaillent dans les déchets soient vus comme des travailleurs nobles.
En réalité, la gestion des déchets est un travail noble parce que tu aides la
population à vivre dans un cadre et un
environnement sain et correct. Pour inciter les populations à la propreté, nous avons lancé à Joal
«le prix vert» où on va primer vers le mois de novembre le quartier qui
aura fait le plus d’efforts.
Des
efforts restent à faire à l’entrée de la ville. Quelles solutions d’ici à la
fin du projet ?
Pas
d’ici à la fin du projet, mais disons d’ici à un mois. C’est mon objectif.Nous
sommes en train de voir comment mettre en rapport le lycée et le séminaire de
Ngazobile.Parce que les déchets sont sur une propriété privée de Ngazobile.
Bien vrai que ce sont les populations de Joal-Fadiouth qui y déversent leurs
déchets, mais c’est un titre foncier de l’Eglise catholique.
Donc,
dans un délai de deux à trois semaines, on voudrait enlever tous ces dépôts
sauvages à l’entrée de la ville. C’est quasiment les seuls points saillants qui
nous restent à régler. L’autre solution, c’est au niveau de Joal extension ou
de CARITAS de trouver un endroit pour que les gens puissent y déposer leurs
ordures, en attendant qu’on finisse d’aménager les infrastructures. Parce que nous notre credo, ce n’est pas de déposer
les déchets, mais c’est de les valoriser à 95 ou 98 %.
La problématique des déchets est un
phénomène national. Comment faire bénéficier aux autres communes l’expérience
de Joal ?
Nous
sommes en train d’élaborer un document de capitalisation. Nous travaillons sur
la base de projet et de financement des bailleurs. C’est vrai qu’il n’y a pas
mal de communes qui nous sollicitent. Mais comme on n’a pas de moyens
disponibles, on propose aux communes deux solutions : monter un projet et
aller chercher de l’argent quand il y a des
appels à projets. Sinon, s’ils ont un partenaire financier, nous pouvons
les accompagner dans la conception technique et la mise en œuvre. Cela ne nous
pose aucun problème et on n’est pas non plus fermé vis-à-vis des communes et
des collectivités locales, parce que ce qui nous intéressent, c’est que
les gens puissent vivre dans un environnement sain et harmonieux.
En
guise de conclusion, je demanderai à l’Etat du Sénégal d’accompagner les
collectivités locales et de mettre beaucoup plus l’accent sur la valorisation
et le tri que sur le dépôt en vrac. Je pense que l’expérience de Mbeubeuss est
édifiante. Et ça va être compliqué, à la limite impossible de faire accepter
dans les collectivités locales ou dans les communes les centres d’enfouissement
techniques. La population de Sindia ne nous démentira pas.
Interview Réalisée Par Baye Salla MAR
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